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L'écume des jours

Elle a traversé ces dix années avec éclat, et son prestige n'a jamais été aussi grand. Elle aime le cinéma depuis toujours et y va très régulièrement. Catherine Deneuve, que l'on verra le 26 mars prochain dans "Généalogies d'un crime" de Raul Ruiz, a accepté de survoler avec nous dix ans de cinéma. Pas pour parler des films qu'elle a faits mais de ceux qu'elle a vus et aimés. Conversation à bâtons rompus avec une spectatrice pas comme les autres.

Le 25 février 1987 sortait le n°1 de Studio. Qu'est-ce que vous attendez d'un journal de cinéma ?
Qu'il soit d'abord attractif. Qu'il y ait des textes intéressants et intelligents à lire certes, mais que, déjà, il m'attire l'œil. Pour moi, le cinéma est avant tout quelque chose de visuel. Et je trouve que la meilleure grâce à lui rendre est justement de faire un journal qui soit séduisant visuellement...

En mars 87, aux Césars, c'est la victoire de Daniel Auteuil pour "Jean de Florette" et "Manon des Sources"...
Oui, il est magnifique dans le film...

... Est-ce que vous vous connaissiez déjà ?
Oui et non. On s'était déjà rencontrés. J'avais fait un film où il avait un tout petit rôle et où il m'avait frappée - ce n'est pas moi qu'il frappait pourtant mais Valérie Mairesse ! (Rires) C'était "L'agression", de Gérard Pires. Daniel avait une scène de dispute avec Valérie Mairesse, il la giflait. Il m'avait épatée... Je ne saurais pas vous dire exactement pourquoi. J'avais remarqué en tout cas ce garçon au physique particulier et avec beaucoup de charme, et ce côté vraiment comédien... Je me souviens très bien avoir été ensuite attirée par lui au cinéma... Il a à la fois une grâce et une légèreté - et une grande sensibilité - qui sont quand même assez rares chez les acteurs français...

En 87, Régis Wargnier a eu le César du premier film pour "La femme de ma vie".
J'avais connu Régis lorsqu'il était assistant. On avait sympathisé et je me rappelle - vous savez comment il est : entier, très passionné, très orgueilleux - qu'il m'avait dit : "Est-ce que vous feriez un film avec moi ?" Il y avait un vrai désir dans sa question, mais aussi comme un défi... J'avais dit oui. Il m'avait fait lire le script de "La femme de ma vie", il était intéressant, original. On s'est revus régulièrement, et de là est né "Indochine"...

En 87 est sorti "Platoon" d'Oliver Stone...
C'est un film qui m'a écrabouillée ! Peut-être parce que, en une seule scène, j'ai réalisé que la guerre, c'était comme ça... Qu'on pouvait tirer sur quelqu'un qu'on ne connaissait pas, par peur, par panique, dans un état second... Cette ivresse, ce mélange de trouille et de courage, ça m'avait décomposée... Mais le reste fait l'éloge de trop de choses que je n'aime pas. Je préfère "JFK"...

A cette époque-là, on parlait beaucoup aussi de "Blue Velvet"...
Je ne suis pas vraiment fana... En même temps, Lynch, c'est vraiment un cinéaste qui m'intéresse, j'ai vu tous ses films - même "Eraserhead", c'est dire ! (Rires) Je suis toujours curieuse devant sa démarche artistique, cinématographique, mais je reste perplexe... Peut-être est-ce trop d'avant-garde pour moi... Il y a pourtant dans "Blue Velvet" des images que je ne peux pas oublier. J'adore "Sailor et Lula" en revanche : c'est une belle histoire d'amour...

Quelque temps avant, Isabelle Adjani était venue à la télé pour faire cesser les rumeurs et dire : "Je n'ai pas le sida..."
C'est plus facile de se mettre à la place d'une actrice quand on est soi-même actrice, et de ressentir à quel point on peut être impuissant devant une telle persécution... Que ce soit vrai ou non, la rumeur est toujours la plus forte. Que faut-il faire ? Rien ? Je ne suis pas sure que l'absence soit la meilleure des solutions. Surtout dans le cas d'une actrice qui est quelqu'un qu'on est habitué à voir et à entendre. Lorsque j'ai vu Isabelle à la télévision, je me souviens l'avoir trouvée très émouvante et, en même temps, je me suis étonnée qu'elle ne se montre pas plutôt dans un contexte plus professionnel, telle qu'elle est, belle, brillante, sans avoir à répondre à ça... Mais toute cette histoire avait dû littéralement la clouer. Comme un papillon qu'on épingle, bat des ailes et se débat comme il peut... En fait, ce qui m'a le plus frappée, c'est que j'aurais aimé que ça serve de leçon. Que les gens se méfient un peu plus des journaux, que les médias soient un peu plus responsables. Eh bien, non ! Il y a pour les journaux qui disent n'importe quoi une impunité incroyable...

En 87 à Cannes, il y avait "Les yeux noirs"...
Marcello qui était en tournage était arrivé en avion privé pour chercher son prix d'interprétation. Il était comme il est dans ces cas-là, à la fois simple, malicieux et généreux, content et ému mais ne voulant pas trop le montrer. Il était reparti comme il était arrivé, enjoué et fatigué. Léger, ne voulant jamais s'appesantir sur les choses... Content d'avoir son prix mais il ne l'aurait pas eu, c'était pareil...

Votre fille, Chiara, faisait une apparition dans le film. Pensiez-vous alors qu'elle deviendrait actrice ?
J'ai une photo d'elle dans le film, avec son petit chapeau, en train de donner des fleurs à son père. (Sourire) J'étais alors à mille lieues de penser alors qu'elle serait actrice ! Vous voyez, il m'arrive d'être optimiste ! (Rires)

Parmi les films dont on a beaucoup parlé cette année-là, il y a "Les incorruptibles" et "Le dernier empereur"...
J'ai vu "Les incorruptibles" aux Etats-Unis et j'ai trouvé le film formidable. Un de ces films à l'américaine où tout est réussi, où tout est bien, où tout marche bien : un bon scénario, une mise en scène terriblement efficace, des acteurs enthousiasmants. Un vrai plaisir de cinéma. Et dans "Le dernier empereur", le plaisir est plus grand encore bien sûr. D'ailleurs, tout est grand dans ce film : l'histoire, les paysages, le metteur en scène... Tout est grand, beau, sophistiqué. J'ai été bluffée !

1988 a notamment été marqué par les réactions violentes à la sortie de "La dernière tentation du Christ" de Scorsese...
J'étais choquée qu'on puisse déprogrammer un film pour de telles raisons... C'était une forme de censure que je trouvais inadmissible... J'en avais parlé à mon agent, à deux ou trois acteurs. Je trouvais qu'il fallait faire quelque chose, qu'il y ait en quelque sorte une réponse officielle du cinéma français. Et puis, il y a eu l'incendie au cinéma de Saint-Michel... J'étais trop timide sur ce plan-là, aujourd'hui j'hésiterais moins. Mon souvenir du film, c'est qu'on n'a rien fait !

Les intégristes ont frappé à nouveau pour "Une affaire de femmes" de Chabrol…
Dans une moindre proportion quand même... C'est l'un des derniers films de Chabrol que j'ai vraiment aimés. Il est assez audacieux. Et puis, Isabelle Huppert y est formidable. D'autant que le personnage n'est pas très sympathique. C'était courageux. De toute façon, elle a une démarche ambitieuse...

Parmi les films de 88 dont on a aussi parlé, il y avait "Le grand bleu", "Bagdad café", "Camille Claudel", "La vie est un long fleuve tranquille"...
J'ai fait partie des millions de gens qui ont été envoûtés par "Le grand bleu". J'ai plongé avec eux ! Jean-Marc Barr a fait rêver... Ce côté à la fois très beau, très séduisant et profondément douloureux, profondément triste... Avec, par-dessus tout, quelque chose de très moderne. J'ai beaucoup aimé aussi "La vie est un long fleuve...". C'est tellement drôle, tellement original. J'ai une immense gratitude pour les metteurs en scène de ces films où l'on rit tant... "Bagdad café", c'était un petit bijou. Une vraie surprise, comme cela arrive parfois. J'ai aimé le ton, la musique, l'actrice... Je ne l'ai pas revu, je ne sais pas ce que j'en penserais aujourd'hui... Quant à "Camille Claudel", il y a des scènes magnifiques, c'est un film très riche et pourtant - mais je ne voudrais pas que ce soit mal interprété - je me dis qu'il n'a peut-être pas trouvé sa bonne longueur : c'est un film qui aurait dû faire cinq heures et qu'on aurait pu voir à la télé. J'aurais adoré avoir rendez-vous régulièrement avec ces personnages, et leur destin...

En février 89 est mort Cassavetes...
J'ai toujours beaucoup aimé ses films. Je savais qu'il était malade : quand on tournait "Paroles et musique", on lui avait demandé s'il ne voulait pas jouer mon mari, mais il était déjà très fatigué. J'aurais aimé le rencontrer, même comme acteur... J'ai vu et revu "Opening night" que j'adore. Ça ferait une pièce de théâtre extraordinaire...

Ça vous étonne que John Cassavetes ait encore autant de succès aujourd'hui ?
Ça m'étonne toujours un peu que quelqu'un ne disparaisse pas totalement - je m'attends toujours au pire ! - mais c'est normal qu'il plaise autant aujourd'hui : il est d'une telle justesse et d'une telle modernité dans son approche des personnages et des sentiments, il y a chez lui une telle vérité, une telle authenticité qu'il est absolument indémodable...

En 89, sort "Les liaisons dangereuses"...
Formidable ! Un parti pris original. Pertinent, malin. Un traitement très intéressant du texte de Laclos. On ne demande surtout pas à une adaptation d'être la plate illustration d'un livre ! Les acteurs étaient formidables, et la lumière de Philippe Rousselot impressionnante. Un vrai moment de cinéma...

Autres liaisons dangereuses, autre lumière de Rousselot : "Trop belle pour toi"...
J'aime beaucoup Blier, son sens des dialogues et des acteurs, ses inventions formelles mais là, même si j'ai trouvé le film intéressant et très original, il m'a manqué une charnière pour comprendre la relation de Gérard (Depardieu) avec Josiane Balasko. Qu'un homme quitte une femme belle, je comprends. C'est une histoire, une situation, à laquelle une actrice peut aisément s'identifier (Sourires), mais il m'a manqué quelque chose pour adhérer au film.

Il y a eu aussi "La vie et rien d'autre".
Philippe (Noiret) y est magnifique. C'est un des Tavernier que je préfère. Un film singulier, fort. Capitaine Conan est de cette veine-là...

En 89, à Cannes, la Palme d'or est attribuée à "Sexe, mensonges et vidéo"...
C'est un des films les plus érotiques que j'ai vus ces dernières années, un des plus troublants... Déjà, l'acteur (James Spader) a quelque chose de trouble, de pervers. Mais il y a aussi quelque chose de juste sur la sexualité, sur les obsessions. On n'y voit rien, les choses sont dites de manière très cérébrale et pourtant, ça évoque la sexualité dans sa forme la plus crue. Sans doute, tout cela me convient ! (Rires)

Et "Crash", vous aimez ?
Plus que le film, c'est Cronenberg qui m'intéresse ! C'est un metteur en scène très érotique, très érotisant, très troublant. J'aime ses interviews, j'aime ses films mais "Crash" ne m'a pas beaucoup touchée. A cause du casting.

Fin 89, arrivent des films aussi différents qu' "Indiana Jones", "Un monde sans pitié", "Noce blanche", et "Le temps des gitans"...
Ah, "Le temps des gitans"... Je le revois demain ! D'ailleurs, je l'ai revu hier ! (Rires) C'est un film complètement poétique. Je pourrais d'ailleurs en revoir juste quelques scènes comme on lit quelques vers d'un poème... De la magie à l'état pur. Bien sûr, "Indiana Jones", c'est différent ! Mais j'aime ça, j'aime Spielberg. Je ne boude jamais mon plaisir de spectateur. C'est comme de manger un Carambar. Sinon que là, c'est un paquet entier ! J'ai beaucoup aimé "Un monde sans pitié". Je me souviens l'avoir vu avant qu'on en parle trop - ce qui peut finir parfois par être un danger ! Cela a été un grand plaisir. Il y avait Yvan Attal dans la salle, je suis allée lui dire qu'il était formidable. "Noce blanche", aussi, ça m'a beaucoup touchée. Brisseau a su sortir des sentiers conventionnels. C'est très réussi. Et Vanessa Paradis existe vraiment. Elle a un vrai tempérament, une belle sensibilité.

En 90, avec "Cyrano", c'est la consécration de Gérard Depardieu...
Oh ! là, là, qu'est-ce que j'ai pleuré en regardant le film ! Jean-Paul (Rappeneau) est quelqu'un que j'aime énormément. On se voit peu mais on s'envoie des petits mots, on se laisse des messages... "Cyrano" m'a bouleversée. Et Gérard y est magnifique. C'est un acteur d'une modernité incroyable et capable en même temps de dire des vers... Hallucinant. C'est l'un de ses meilleurs rôles. J'étais très heureuse d'assister à son couronnement officiel mais il y avait déjà longtemps que je savais tout le bien qu'on pouvait penser de lui et de son talent ! Gérard, c'est quelqu'un qui a une dimension hors normes. A tous points de vue. Il peut vous émouvoir, vous surprendre et aussi vous laisser choir comme ça ! (Rires). C'est quelqu'un qui est toujours inattendu. Pour le meilleur et... pour le pire ! Mais surtout, c'est quelqu'un - même si tout est douloureux chez lui - qui est extraordinairement vivant.

Cette année-là, à Cannes, on assiste aussi à la rencontre Delon-Godard dans "Nouvelle vague"...
Je suis comme tout le monde, Delon m'irrite souvent. En même temps, il a envie de tourner avec Godard, avec Blier. Il est encore capable d'avoir des choix surprenants. Il y a toujours en lui un désir de comédien, il est resté un acteur en attente de rencontres. C'est touchant...

Et vous, Godard, ça vous tente ?
Oui, bien sûr. Mais je voudrais alors bénéficier d'une médication qui me permettrait de ne pas souffrir pendant le tournage ! J'adorerais tourner avec Pialat aussi... Mais je voudrais qu'on m'assure de ne pas souffrir. C'est vrai que parfois, un peu de souffrance, c'est intéressant, mais je ne veux pas en sortir vaincue... Au sens où il me faudrait des mois pour me remettre de cette expérience "enrichissante" ! En même temps, c'est vraiment à titre personnel que ça m'intéresserait de travailler avec eux...

90, c'est l'année de "Pretty woman"...
J'ai aimé le film. Enfin, il ne faut pas exagérer… Mais il ne faut pas être de mauvaise foi non plus ! (Rires). Je l'ai vu aux Etats-Unis au milieu d'un public enthousiaste. Et j'y ai pris beaucoup de plaisir : ils sont tellement sexy tous les deux. C'est un joli conte de fées. Le plaisir est peut-être éphémère mais c'est tout de même un plaisir. Elle, elle est formidable. J'y crois d'autant plus que je l'ai vue dans "Mary Reilly" et qu'elle y est absolument étonnante. Comme dans le nouveau film de Woody Allen. Je trouve que c'est une actrice très proche de la sensibilité européenne...

C'est aussi l'année des "Affranchis"...
Du cinéma dans toute sa splendeur ! Comme les "Parrain" de Coppola. J'adore Scorsese, bien sûr... Il est le cinéma incarné ! J'ai un souvenir particulier avec lui. Quand je suis allée à New York pour la ressortie de "Belle de jour" qu'il parrainait, je suis allée le voir travailler. Il montait "Casino". Il m'a expliqué qu'il découvrait la magie du montage virtuel (par ordinateur) et qu'il avait peur, tant les possi-bilités sont nombreuses, de ne jamais s'arrêter avant de les avoir toutes essayées ! C'était incroyable de le voir là, au travail. Terriblement excité. Il m'a fait écouter la bande son - une merveille ! - et m'a montré des images de "Casino". Un coup de poing !

Et De Niro, vous en pensez quoi ?
C'est certainement l'acteur américain que j'admire le plus aujourd'hui. Quand Agnès Varda, pour "Les cent et une nuits", a écrit une scène pour De Niro et moi, j'étais très inquiète. Les gens que j'admire - même les acteurs - je n'ai pas forcément envie de les rencontrer ! Je ne suis pas sure que, dans la vie, ils me plaisent autant... Eh bien, la rencontre avec De Niro a été un grand moment. Je n'imaginais rien mais c'était mieux que tout ce que j'aurais pu imaginer ! (Rires). Il était comme on peut souhaiter, comme il peut être parfois dans les films de Scorsese. Malicieux, séduisant... Je l'ai revu à New York. Il est très américain et, en même temps, il a quelque chose d'italien, quelque chose comme nous ! Je suppose que c'est pour mener à bien son aventure de Tribeca (sa maison de production) qu'il tourne beaucoup plus qu'avant. Eh bien, c'est une chance qu'on a ! J'ai adoré le voir dans cette comédie avec Charles Grodin : "Midnight run"...

Cette année-là, meurent Ava Gardner et Greta Garbo, après Rita Hayworth et avant Marlène Dietrich...
Rita Hayworth, hélas, c'était un peu la chronique d'une mort annoncée. Elle était malade depuis longtemps, j'avais participé à un gala organisé par sa fille aux Etats-Unis contre la maladie d'Alzheimer. Elle a été entourée sur le plan affectif, elle a été accompagnée dans sa vie personnelle. Elle a été une mère formidable, extrêmement positive. Je sais, c'est étrange de dire ça de Gilda ! Mais c'est à ça que j'ai pensé, plus qu'à autre chose. Au contraire d'Ava Gardner, elle n'avait pas l'image d'une actrice qui avait été d'une grande beauté et qui vivait seule, abandonnée... La mort d'Ava Gardner m'a beaucoup touchée parce que j'imagine sa solitude... Garbo et Dietrich, c'est différent. Pour moi, c'étaient des actrices qui n'existaient plus cinématographiquement depuis longtemps.

Et, en octobre, disparaît aussi Jacques Demy...
Ça, ça a été beaucoup plus dur. Je savais qu'il était malade, ça n'a donc pas été un choc. Il n'empêche... Cela a été un grand chagrin... Quand quelqu'un qui vous connaît et vous aime disparaît, il emmène avec lui une partie de vous... Sa mort a créé un grand manque, un vide. L'idée qu'il n'y aura plus sa présence, son univers, son esprit, son regard, l'idée qu'une telle personnalité - et c'est pareil avec François Truffaut - n'existera plus dans le cinéma français est intolérable. J'ai eu un peu ce sentiment à la mort de Coluche... ll y a des gens comme ça qui sont absolument nécessaires à la vitalité de notre quotidien.

Vous diriez la même chose à propos de Serge Gainsbourg, mort l'année suivante ?
Serge, c'était différent. Je le connaissais bien, je l'ai beaucoup accompagné dans des mois difficiles, douloureux, et comme cela arrive souvent avec des gens qui sortent la nuit, qui boivent - il buvait quand même beaucoup plus que moi ! (Rires) -, cela se terminait presque toujours dans la fête. On a eu une complicité joyeuse qui a pu souvent, d'ailleurs, être mal interprétée. On s'était connus sur "Je vous aime" et on était restés proches. On n'était pas amis, on était copains, je ne m'attendais pas à sa mort. Ça a été un choc... (Silence). C'est difficile de parler de certaines morts...

Comme celle d'Yves Montand ?
Oui. Je l'ai trop bien connu... Pour moi, la mort d'Yves Montand, ce n'est pas seulement la mort de Montand. C'est autre chose. C'est très triste... Je pense à un homme qui a fait des efforts extraordinaires pour être ce qu'il voulait... Je pense à son petit garçon... (Silence).

Parmi les films qui sortent en 91, il y a "Un ange à ma table" de Jane Campion...
Quel beau film ! Tellement singulier, tellement fort... J'aime beaucoup les films de Jane Campion. C'est une grande cinéaste. Je l'ai rencontrée à Cannes l'année de "La leçon de piano" - qui est une pure merveille. En plus, c'est une femme très sympathique, très chaleureuse, qui a une forte personnalité... Je n'ai pas encore vu "Portrait de femme", j'adore aller au cinéma en salle - c'est même l'un de mes grands plaisirs - mais tous mes amis l'ont déjà vu ou... ne veulent pas y aller !

Il y a aussi, en 91, "Le silence des agneaux"...
Ah, j'adore Jonathan Demme. C'est un cinéaste terriblement original et éclectique : il passe avec une aisance incroyable d'un univers à l'autre : "Veuve mais pas trop", "Le silence des agneaux", "Philadelphia"... Et Jodie Foster a eu l'Oscar, bravo !

Aux Césars en 92, c'est Jacques Dutronc qui l'emporte avec "Van Gogh"...
C'est très beau, "Van Gogh". Comme "Sous le soleil de Satan", comme "Le garcu"... Et quel plaisir de voir Dutronc à nouveau ! C'est un acteur tout à fait à part. Dommage qu'il n'ait pas davantage envie de cinéma...

Parmi les films de 92, il y a "C'est arrivé près de chez vous", "Un cœur en hiver", "Le Petit Prince a dit"...
"C'est arrivé près de chez vous", ça m'a mis très mal à l'aise ! (Rires). J'ai ri, mais ça m'a aussi vraiment dérangée. Je crois que mon humour noir a des limites ! (Rires). "Un cœur en hiver", c'était intéressant, mais je préfère "Quelques jours avec moi", qui est la première collaboration de Sautet avec Jacques Fieschi. C'est étonnant comme cela lui a donné une nouvelle vitalité... J'ai beaucoup aimé "Le Petit Prince a dit". Un sujet difficile, un film toujours en équilibre, étonnant... La mort de Christine Pascal, l'été dernier, m'a profondément bouleversée. Je la connaissais mal mais je la trouvais très émouvante. Dans ses interviews, il y avait à la fois quelque chose de fataliste, de douloureux et d'énergique. Qu'elle ait mis fin à ses jours dans un endroit spécialisé où elle aurait dû, au contraire, être entourée, prise en charge, a augmenté ma tristesse. J'ai imaginé sa détresse, ça m'a vraiment affectée.

Des Césars 93, il reste une belle image, en plus de votre victoire pour "Indochine" : vous, consolant Romane Bohringer.
Ah, oui... Ce sont des moments forts dont on se demande d'ailleurs s'ils sont encore possibles tant la cérémonie des Césars a l'air de plus en plus sèche... Romane, elle est bouleversante dans le film, je ne la connaissais pas mais comment ne pas consoler une enfant qui pleure ? "Les nuits fauves", c'est un peu particulier. Cinématographiquement, c'est intéressant. Mais, pour moi, plus qu'un film, c'est un thème. Et sur le fond, par rapport à ce que je vivais, alors, dans ma vie, à ce qu'il y avait autour de moi, ça m'était difficile d'accepter cette vision-là... C'était trop dur...

Après les Césars, vous enchaînez avec les Oscars où vous êtes nommée et où "Indochine" l'emporte...
C'était une belle année ! Je ne veux pas jouer les anciens combattants et raconter mon Viêt-nam mais "Indochine" était vraiment une belle aventure... Franchement, je n'ai pas eu trop de stress aux Oscars, parce que d'être nommée, c'était déjà une récompense. Bien sûr, il y a toujours un petit espoir, non pas un espoir, une interrogation plutôt... Mais sincèrement, il n'y a pas eu de déception, j'étais sure qu'Emma Thompson, que j'aime beaucoup, l'aurait. Et, en plus, je crois que c'était beaucoup plus utile que ce soit le film qui l'ait.

93, c'est aussi "Ma saison préférée".
"Ma saison...", c'est un grand souvenir... Pas seulement pour le film mais pour le plaisir de tourner avec André (Téchiné) et de rencontrer Daniel (Auteuil) dans une histoire comme celle-là où l'on est frère et sœur - ce qui nous a sans doute permis d'être tout de suite dans la complicité. Cela aurait peut-être été différent si on avait joué un autre type de relation. Daniel est vraiment quelqu'un que j'admire, pour lequel j'ai une tendresse quasi fraternelle... J'ai été ravie de ce qui est arrivé à André, par la suite, avec "Les roseaux sauvages". C'est un très beau film, je l'ai vu plusieurs fois. Le succès, justement avec ce film-là, ne pouvait pas mieux tomber pour lui. Ça lui a apporté beaucoup...

Cette année-là, il y a aussi "Les visiteurs", "Jurassic Park" et "Bleu"...
Juliette Binoche, c'est une actrice qui m'intéresse beaucoup. J'aime son côté à la fois classique et moderne. Il m'arrive souvent de penser dans tel ou tel film, et pas seulement français : "Ah si ça avait été Juliette Binoche ou Sandrine Bonnaire..." Ce sont des actrices intéressantes. Comme Charlotte Gainsbourg et Marie Trintignant dont j'aime le travail et dont je vais voir tous les films... Sinon, j'ai adoré les effets spéciaux de "Jurassic Park" et j'ai trouvé que Valérie Lemercier était une comédienne exceptionnelle. Elle est intelligente, étonnante, elle a une voix extraordinaire, tellement musicale qu'elle peut tout jouer. Elle est absolument épatante.

On parlait beaucoup, alors, du Gatt et du combat pour l'exception culturelle…
Je pense qu'on a raison de se mobiliser, de lutter pour ça. C'est très bien qu'il y ait des gens qui s'en occupent, mais chacun ne peut lutter que selon ses possibilités, selon sa nature...

L'année suivante, vous êtes vice-présidente du Jury à Cannes.
On m'avait déjà proposé plusieurs fois d'être présidente et j'avais refusé. Je ne suis pas sure que ce soit le rôle des acteurs de jouer les juges ! Là, j'ai accepté d'abord parce que j'étais vice-présidente, ensuite parce que c'était avec Clint Eastwood, et aussi, finalement, pour tenter cette expérience. Une fois m'a suffi ! Cela dit, ça rend plus paisible, après, sur les prix... Parce que c'est d'une telle cruauté quand, à la fin, il faut choisir entre deux films, deux actrices, deux acteurs, tous formidables. C'est terrible. Je ne renouvellerai pas l'expérience, c'est trop injuste...

Mais vous assumez le choix de "Pulp fiction"...
Oh, que oui ! Ça s'est d'ailleurs décidé à l'unanimité. C'est un film moderne, gonflé, audacieux. D'une belle virtuosité. Et il y a une vraie jubilation du cinéma. Tarantino, en plus d'être un grand metteur en scène, est quelqu'un qui aime les acteurs. Quant au reste du palmarès, ne me demandez rien, je suis toujours tenue au secret ! Je vous dirai juste que j'ai beaucoup défendu "Journal intime" de Moretti qui est l'un de mes cinéastes préférés. Le problème, à Cannes, c'est que, quand même, les films non anglo-saxons ont moins de chance !

La même année, Spielberg triomphe aux Oscars avec "La liste de Schindler"...
C'est un film très, très bouleversant. Et que ce soit Spielberg qui ait réussi ce film-là, bravo... Je n'ai pas compris la polémique. Je ne suis pas toujours pour le cinéma qui apprend des choses mais c'est un film important, pour les jeunes générations, surtout pour les Américains, qui sont loin de tout ça....

En 95, on a fêté les 100 ans du cinéma...
On n'est pas très doués pour ça en France ! A quelques exceptions près, on n'a pas su trouver le ton pour faire quelque chose de festif, de pimpant... Cent ans, ça avait l'air vieux, alors que pour un art, cent ans, c'est très jeune !

Cet été-là a éclaté le scandale Hugh Grant. Venant après l'affaire Woody Allen, ça vous inspire quelles réflexions ?
Que je suis bien contente de ne pas vivre aux Etats-Unis ! Il y a dans cette médiatisation de la vie privée quelque chose de vulgaire, de fou, voire d'abject... Le seul truc amusant avec l'affaire Hugh Grant, c'est que ça s'est terminé par un happy end comme dans un film américain !

Parmi les gros succès de l'année, il y a "La haine" et "Gazon maudit" et, parmi les échecs injustes, "Little Odessa"…
"Little Odessa", je ne l'ai pas vu parce qu'on n'a cessé de me dire : "II faut que tu sois vraiment en forme pour aller le voir", je n'ai jamais dû me sentir assez en forme pour y aller ! Remarquez, on m'avait dit la même chose pour "Breaking the waves" ! J'ai fini par y aller et je ne le regrette pas. C'est extraordinaire. C'est l'une des plus belles histoires d'amour que je connaisse... Si j'avais été au Jury cette année, j'aurais voté pour lui plus que pour "Secrets et mensonges" que j'ai bien aimé ! Quant à "La haine", j'ai trouvé que ça révélait... un acteur formidable : Vincent Cassel. "Gazon maudit", je l'ai vu quand on tournait "Les voleurs", j'ai beaucoup ri. J'étais un peu réticente au départ à cause du titre que je trouvais épouvantable mais j'ai trouvé ça finalement très gonflé, très réussi.

A Cannes, cette année-là, on a vu Chiara dans "N'oublie pas que tu vas mourir".
J'aime beaucoup le film. Il est très personnel. J'avais déjà aimé "Nord", le premier film de Xavier Beauvois. J'ai réussi à voir Chiara comme une actrice et pas comme ma fille. Je me suis dédoublée comme lorsque je me vois aux rushes... Elle est très bien. Comme dans le film de Desplechin - dont j'aime l'univers et les personnages. Chiara est quelqu'un de sensible, qui a un vrai point de vue sur le cinéma, qui connaît tout, qui est très structurée, elle m'épate...

Quelles sont les autres jeunes actrices françaises que vous aimez ?
Virginie Ledoyen. Elle a une belle allure, une grâce magnifique. Dans "La fille seule" de Benoît Jacquot, elle est vraiment étonnante. J'ai beaucoup aimé aussi Sandrine Kiberlain dans "En avoir (ou pas)" et Géraldine Pailhas dans "Le garçu".

Et parmi les jeunes acteurs américains ?
J'aime beaucoup Brad Pitt, et énormément Johnny Depp. Sean Penn est de la trempe des grands acteurs et Leonardo DiCaprio, totalement insensé !

Quels sont les derniers films que vous avez vus ?
Pendant plus d'un mois, je n'ai pas pu y aller et ça m'a manqué. J'ai vu "La promesse" des frères Dardenne, qui est un film incroyablement fort... Et aussi "Un air de famille" qui m'a beaucoup fait rire.

Et "Microcosmos", vous l'avez vu ?
Impossible ! Je déteste trop les insectes ! Déjà la bande annonce me fait frémir !... Je suis désolée, il va falloir que je vous quitte... Et c'est très frustrant. Il y a tant de gens et tant de films dont on n'a pas parlé... On n'a parlé ni de Tim Burton, ni du "Fils préféré", ni des "Apprentis", ni de "Toto le héros" ni, surtout, de "Dead man"... Comme j'ai aimé ces films-là ! Si la vie pouvait juste se concentrer sur les films qu'on aime... Parfois, je me dis : "Mais quel bonheur j'ai eu au cinéma. Quel bonheur..."



Par : Jean-Pierre Lavoignat
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