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Voir Catherine Deneuve, défaite et perdue, souffrir
et puis renaître un soir d'août dans "Place Vendôme",
le très beau film de Nicole Garcia... L'interviewer, quelques jours
plus tard, devant l'Odéon, sur le tournage de "Belle-maman",
alors qu'elle est déjà depuis longtemps une autre femme,
plus proche et plus rieuse, presque familière et pourtant toujours
aussi troublante... Catherine Deneuve est une femme d'aujourd'hui. Moderne.
Vivante. En mouvement perpétuel. Qui interroge et s'interroge.
Qui n'est jamais à l'heure parce que, pour elle, le temps n'existe
pas - ou si peu... Une femme qui se serait approchée si près
de la lumière que, pour toujours, la lumière serait tombée
amoureuse d'elle. A l'entendre nous raconter ses rencontres et ses projets,
ses craintes et puis ses rêves, on comprend pourquoi finalement,
elle a toujours eu une longueur d'avance sur le cinéma français.
Elle dit souvent qu'elle n'aime pas les interviews, mais nous, on aime
l'écouter parler. Parce que son regard, sur ce métier et
les choses de la vie, est d'une justesse implacable. Catherine Deneuve
est aussi étonnante dans la vie qu'au cinéma. Autrement.
Mais avec le même mystère...
Vous souvenez-vous de la première
fois où Nicole Garcia vous a parlé de "Place Vendôme"
?
Non, c'est trop loin. Comme nous avions l'envie de faire un film ensemble,
nous nous sommes vues plusieurs fois et l'idée de "Place Vendôme"
est née un peu au hasard de nos discussions...
Qu'est-ce qui vous donnait envie
de travailler avec elle ? Le fait que ce soit une femme ? une actrice
?
Ce qui m'intéressait avant tout, c'est le regard qu'elle porte
sur les sentiments ou les émotions... Mais c'est vrai que les réalisatrices
semblent plus audacieuses que les réalisateurs dans leur façon
de montrer les rapports entre les femmes et les hommes. Comme si, finalement,
elles étaient moins intimidées pour aborder certains sujets
plus intimes. Cela m'avait déjà frappée, dans les
films de Diane Kurys par exemple, où les scènes d'amour
étaient très fortes.
Avez-vous lu le scénario au fur et à
mesure de son élaboration ou l'avez-vous découvert une fois
fini ?
Je me considère avant tout comme une interprète, donc moins
j'ai à intervenir sur le scénario, mieux c'est, même
si, précise comme je suis, maniaque même !, je souhaite toutes
les améliorations possibles. Mais, disons que c'est une discussion
qui n'intervient que lorsque le scénario est définitif,
que lorsque le tournage est proche. Il y a deux ans d'ailleurs, quand
j'ai rencontré Philippe Garrel, il avait même évoqué
la possibilité que je participe à l'écriture du film
qu'il voulait faire avec moi. Cela ne m'a pas fait peur, mais j'ai quand
même reculé... En règle générale, à
partir du moment où j'accepte de travailler avec un réalisateur,
c'est que je rentre dans son univers, que je lui fais confiance, quitte
à le suivre dans ses éventuelles erreurs. Avec le temps,
ce métier me demande de plus en plus d'énergie, donc si
je n'essaie pas un peu de me préserver pour le tournage, je cours
le risque de m'user.
Qu'est-ce qui vous touchait
dans le personnage de Marianne de Place Vendôme ? Qu'il soit à
la dérive ?
J'ai tout de suite trouvé que c'était un personnage intéressant.
Et là, pour le coup, c'était bien qu'il y ait une femme
et une actrice derrière la caméra. J'étais sure que
Nicole aurait des idées justes par rapport à ce personnage,
à ces moments de doute - on en connaît forcément à
un certain âge de sa vie, d'autant plus quand on est comédienne.
Sans forcément être attirée par des expériences
extrêmes, c'est vrai que j'ai envie de jouer des rôles différents
de ceux qui j'ai pu incarner auparavant. Je n'avais jamais joué
une alcoolique, une femme qui soit tombée aussi bas. Cela me faisait
peur aussi...
Pourquoi ?
Je ne sais pas. C'est dangereux, c'est presque trop beau, un rôle
pareil... Qu'est-ce qu'une actrice peut bien avoir envie de jouer quand
elle désire aller vers des choses extrêmes ? Il n'y a que
la folie et l'alcoolisme. En plus, ce sont deux situations très
cinématographiques. Là, la vraie différence avec
ce qui a déjà été montré au cinéma
- et c'est peut-être ça qui me faisait peur - c'est que ce
n'est pas une femme qui se noie, mais une femme qui se reconstruit. Ce
n'est pas une femme qui boit, c'est une femme qui a bu, ce n'est pas pareil.
Au début du film, elle sort d'une cure de désintoxication.
Elle peut replonger à la moindre occasion, il y a donc chez elle
une nervosité constante, une inquiétude latente... C'était
complexe. Il fallait rester subtil et, en même temps, qu'on sente
bien ce décalage par rapport aux autres, cette indifférence
au quotidien et aux choses matérielles qu'ont les femmes qui ont
traversé ce type d'épreuves, surtout lorsqu'elles évoluent
dans des milieux privilégiés. Il y a en elles un mélange
d'arrogance et d'indifférence. Mais c'est un faux détachement.
Qui cache un profond désespoir. Dans "Place Vendôme",
Marianne désespère de s'intéresser à quelque
chose, d'autant plus qu'elle n'a pas pu avoir d'enfants. Elle est en manque
de tout.
Ce qui est le plus troublant
dans le film, le plus bouleversant aussi, c'est que vous n'y faites pas
une composition à l'américaine, un de ces exercices de style
où tout est fluide, parfait, attendu. Au contraire, on a parfois
le sentiment que vous n'êtes pas très à l'aise avec
ce personnage, mais que c'est justement votre manière à
vous, profonde et authentique, d'exprimer le malaise de ce personnage...
Je comprends ce que vous voulez dire. Mais non, je n'ai pas été
mal à l'aise avec le personnage. Ce qui est sûr, c'est que
je ne voulais pas qu'on puisse lui mettre une étiquette sur le
dos dès le départ C'est quelqu'un de plus imprévisible
que ça, dont la reconstruction même est hasardeuse. Elle
a été si loin, au bout de tellement de choses... Cela m'offrait
le meilleur des alibis, la plus grande des libertés. Je pouvais
avoir des gestes plus saccadés, changer d'humeur en cours de scène...
Une femme malade, on peut la ramener vers ce qu'on veut. On peut choisir
l'enfance. On peut choisir la grossièreté. On peut choisir
la violence. Elle ne se contrôle pas toujours. C'est à vous
de voir comment vous avez envie de vous projeter en elle...
Cette liberté, on la
sent notamment dans la scène de poker dans le train, où
vous envoyez balader Jean-Pierre Bacri. Qu'aviez-vous en tête à
cet instant-là ?
La même chose que lorsque vous racontez une histoire drôle
qui est faite pour être racontée par un homme. Il fallait
avoir un ton et des mots qui sont ceux qu'une femme emploie lorsqu'elle
est hors d'elle. Une forme de grossièreté, que je trouve
saine et qu'il ne faut pas confondre avec la vulgarité.
Il y a, tout au long du film,
des gestes, des regards, des expressions, qu'on ne connaît pas de
vous...
Mais heureusement ! (Rires.)
Même votre voix, par moments,
n'est plus la même.
Ça, ça me préoccupait vraiment, j'y ai beaucoup pensé...
J'ai une certaine pudeur vis-à-vis de moi-même, et j'ai du
mal à travailler avant un tournage au sens où on l'entend
habituellement. J'y pense, mais je n'aime pas me formuler les choses.
Je suis plutôt mezzo voce... Mais ça, la voix, j'y avais
réfléchi. Une femme qui a bu, qui boit et qui fume, a forcément
des intonations différentes. Je voulais que ce soit réussi.
Je voulais qu'il y ait des ruptures, des registres différents.
J'en avais parlé avec Nicole... La voix, c'est très important.
Il y a des choses qu'on peut toujours dissimuler grâce au maquillage
ou à une tenue élégante, mais la voix, comme le rire
d'ailleurs, vous ramène toujours à ce que vous êtes
réellement.
Vous parliez de votre travail.
Vous êtes-vous inspirée de gens que vous connaissez ? Avez-vous
pris des notes sur votre scénario ?
J'ai repensé à des gens que j'ai croisés dans ma
vie, des femmes chic, victimes de ce qu'on appelle l'alcoolisme mondain,
oui... Quant à prendre des notes sur mes scénarios, jamais
! Peut-être est-ce à cause de mes rapports avec une certaine
presse, mais je suis trop mal à l'aise avec la trace écrite.
J'ai toujours peur qu'ensuite mes notes puissent être lues, sorties
de leur contexte, détournées... J'écris des choses
sur des morceaux de papier que je déchire automatiquement au bout
d'un certain temps.
Si le tournage de "Place
Vendôme" a été difficile, était-ce parce
que l'état de Marianne était un état lourd à
porter, et que vous ressentiez le besoin de garder une certaine distance
avec ce personnage, de vous en protéger ?
Ce fut un tournage lourd, long et complexe, à cause de la diversité
des scènes, des lieux, de l'ambition même du projet, pour
Nicole dont ce n'était que le troisième film. Mais je ne
ressentais pas le besoin de tenir Marianne à distance. Au contraire
! Je voulais surtout ne pas la perdre, je voulais la tenir sur la longueur.
Elle est tellement loin de moi... Ne serait-ce que dans son comportement
amoureux ! Epouser un homme par simple reconnaissance, rester mariée
avec lui pendant des années alors qu'on ne l'a jamais vraiment
aimé, par exemple, sont des choses que je comprends mal. (Rires.)
Mon inconscience est beaucoup plus grande que ça !
Le film est aussi l'histoire
d'une femme trahie. Pour vous, la trahison, c'est quelque chose d'impardonnable
?
Ce n'est pas que ce soit impardonnable, c'est inoubliable, Je ne peux
plus y croire complètement après... Il y a des couples qui
peuvent se trahir, se quitter sans trop s'en vouloir. Ils ont de la vie
un point de vue plus fort que ça. Alors que pour moi, la trahison,
c'est comme si on avait inoculé du poison... Je n'arrive pas à
dépasser ce stade. C'est une fêlure qui ne disparaît
pas. J'ai un côté chevalier avec ce genre de choses. Je trouve
qu'on devrait pouvoir provoquer en duel ceux qui vous ont trahi ! (Rires.)
A la lecture du scénario,
y a-t-il une scène que vous appréhendiez plus particulièrement
?
(Silence.) Avant de tourner, il y a toujours une séquence que l'on
redoute, mais... Là, c'est vrai que j'avais plus peur de la scène
du poker, par exemple, que de tourner sans maquillage dans les premiers
instants du film. Assez curieusement, à partir du moment où
j'avais accepté de franchir ce pas, cela m'a donné une liberté
supplémentaire. Et puis, je voulais être au plus près
d'une certaine vérité...
Nicole Garcia n'a pas cherché
à vous donner un contre-emploi, mais elle a voulu au contraire
vous faire jouer avec votre image, la pousser à l'extrême,
au-delà de la limite...
Heureusement, parce qu'il y a des moments où on ne peut pas lutter
avec ce que l'on est. Je n'ai pas cherché à faire une composition
d'actrice...
Il y a un côté
"royauté déchue" qui est très émouvant...
Ce n'est pas un personnage digne, mais noble.
Sur le tournage, Nicole me disait toujours : " Vous avez de la grandeur.
" Et c'est vrai que même dans les pires situations, Marianne
a toujours ce sentiment...
On imagine que cela ne doit
pas être facile, pour vous, de dire dans le film à Emmanuelle
Seigner : "J'ai eu ton âge. J'ai eu ton corps..."
Ce n'est pas la phrase que je préfère, mais pas pour les
raisons que vous croyez. C'est curieux que vous me parliez justement de
ce dialogue, parce que j'ai essayé de le faire glisser au maximum...
J'avais dit à Nicole que je le trouvais trop romanesque. Je ne
pense pas que dans une telle situation, une femme dirait une chose pareille.
Pour moi, c'est une phrase écrite par un homme.. ."J'ai eu
ton corps, j'ai eu ton âge..." Quels que soient l'âge
et la situation, il y a toujours un fond d'orgueil chez une femme, qui
l'empêchera de formuler ça de manière aussi nette.
Mais comme c'est du cinéma, que Nicole trouvait que c'était
important pour la scène et qu'elle y tenait vraiment, j'ai accepté
de le dire, même si. au bout du compte, je trouve que cela fait
un peu trop donneuse de leçon !
La scène est magnifique,
mais elle est assez dure...
Oui. D'autant plus qu'elle a été assez difficile à
tourner. Au départ, Nicole souhaitait la filmer en plan-séquence.
Je lui ai dit que j'aurais beaucoup de mal avec le texte. On l'a faite
par morceaux et j'y suis allée de manière assez violente
et entière, je voulais que ce soit à la fois violent et
farouche. Que ce soit des aveux qu'elle lui donne et, en même temps,
qu'elle les lui crache... J'espère que cela passe. C'est vrai,
ça a été difficile. Mais vous savez, tous les films
sont difficiles. En ce moment, je tourne une comé-die ("Belle-maman"
de Gabriel Aghion avec Vincent Lindon et Mathilde Seigner). C'est merveilleux,
c'est une ambiance formidable, mais c'est très difficile, parce
qu'il faut être sans cesse vigilant. La comédie, c'est comme
une musique. Une musique en plus du dialogue. Il faut être juste,
garder le rythme. Mais, finalement, toutes les difficultés, même
si elles vous laissent sur le carreau le soir, sont excitantes...
Cette sensation du vertige qu'a
eue Marianne, c'est quelque chose que vous avez connu, que vous pourriez
connaître ?
Mon instinct de vie est plus fort que ça. J'ai le goût de
la vie, de la survie... C'est profondément ancré dans ma
nature. Et ça, tout le monde ne l'a pas en soi... Je crois que
je l'ai toujours eu. Peut-être parce que petite, j'ai été
malade et que, très vite, j'ai compris le prix de la vie... Et
aussi le besoin qu'on peut avoir, parfois, de se protéger.
Et quand vous croisez quelqu'un
comme Patrick Dewaere sur "Hôtel des Amériques"
par exemple, qui ne se protégeait pas beaucoup, qui ne pouvait
pas mettre de distance avec ses rôles, c'est douloureux à
partager...
Oui... (Elle hésite.) Je souffrais de le voir ainsi. Je sentais
bien à quel point il était fragile. C'était un homme
qui se lançait comme ça... Il avait des élans. Il
s'emballait et, après, il donnait l'impression d'être déçu,
triste. Il avait donc besoin de trouver des palliatifs à sa tristesse.
Souvent, d'ailleurs, dans ses films, il a cet air à la fois triste
et étonné, comme si quelqu'un lui avait fait une mauvaise
surprise. C'était un acteur absolument formidable, mais il était
trop près de ses personnages. Il était trop lui-même.
Il allait presque trop loin dans l'émotion. Certains acteurs ont
un formidable instinct de conservation et d'autres ne l'ont pas. Patrick
ne l'avait pas.
Quand vous voyez une actrice
comme Romy Schneider qui, elle aussi, s'est justement brûlé
les ailes à trop jouer avec le feu, que ressentez-vous ?
Romy non plus n'avait pas d'instinct de conservation. Leur goût
de vivre, à l'un comme à l'autre, était peut-être
trop épisodique, pas assez fort, ni assez présent pour les
ramener à la réalité de leur propre vie. Ils n'avaient
pas la force de supporter toutes ces choses qui sont parfois tellement
difficiles et douloureuses à vivre. Tous ces personnages qui, à
la longue, peuvent être si lourds à porter. Nous nous connaissions
peu avec Romy. Nous n'avons fait que nous croiser, mais je ne crois pas
me tromper en vous disant qu'en la voyant, ou en écoutant les gens
qui l'aiment parler d'elle, on devinait tout de suite qu'elle se jetait
la tête la première dans la vie. C'était une actrice
extrêmement en danger... ou plutôt une femme en danger.
Pensez-vous que les actrices
doivent apprendre à résister ?
Oui et non. Il faut savoir résister et se protéger, mais
il faut aussi savoir s'abandonner. L'équilibre, il se fait avec
votre instinct de conservation. Encore une fois, cela dépend aussi
de l'instinct de vie qu'on a en soi...
En regardant vos plus gros succès,
on se dit que le public semble avoir plus de facilité à
vous admettre comme une femme forte et triomphante que comme une femme
blessée et pas toujours équilibrée...
Les films de Téchiné, où je n'ai pas vraiment une
image de femme forte, ont quand même bien marché... Mais
c'est vrai que les gens ont peut-être plus de mal que moi à
accepter que je sois différente, que je choisisse certains personnages
en fonction du temps qui passe... L'essentiel, c'est de rester fidèle
à soi-même, à ce qu'on a envie de faire, et de ne
pas réfléchir sans cesse au public. C'est là, en
cherchant à tout prix à aller dans le sens de ce que les
gens imaginent, que l'on risque de se perdre, de se répéter,
de devenir un stéréotype... Il faut être à
la fois vigilant et curieux.
Quand on regarde votre carrière,
on se dit que finalement, vous avez peu tourné avec des femmes
et...
Qu'est-ce qu'il vous faut ?!
Il n'y en a que quatre : Agnès
Varda, Nadine Trintignant, Elisabeth Rappeneau et Nicole Garcia...
Eh bien ? Par rapport à certaines qui ont fait autant de films
que moi mais qui n'ont jamais tourné avec des femmes, c'est beaucoup
! (Rires.)
En tout cas, autant dans "Ça
n'arrive qu'aux autres" que dans "Place Vendôme",
on sent que Nadine Trintignant et Nicole Garcia vous ont poussée
très loin...
Vous voulez dire que les réalisatrices vous poussent à aller
plus loin dans les scènes de déchirement et de violence
? Elles savent peut-être mieux jusqu'où une femme peut aller...
Cela dit, c'est difficile de tourner avec des femmes.
Pourquoi ?
Je ne sais pas. C'est un constat que je peux faire aujourd'hui, sans forcément
me l'expliquer. (Silence.) La nature humaine a un sens et on peut supposer
qu'être du sexe opposé est finalement plus complémentaire
qu'on ne le croit. Et cela n'a rien à voir avec l'amour que j'ai
pour les femmes ou l'affection que je porte aux réalisatrices avec
lesquelles j'ai travaillé. Mais c'est difficile. Peut-être
que, tout à coup, c'est un univers trop féminin pour moi.
En même temps, il n'y
a qu'une femme pour faire "Place Vendôme", non ?
Vous croyez ? Je ne suis jamais sure de ces choses-là. Je vois
les femmes comme étant beaucoup plus les égales des hommes.
"Place Vendôme" n'est pas forcément un film féminin,
les personnages sont durs... D'ailleurs, Nicole a écrit le scénario
avec Jacques Fieschi. J'aime beaucoup la manière qu'il a d'écrire.
Ses dialogues sont particuliers, un peu décalés, un peu
littéraires, presque toujours insolents. C'est intéressant,
séduisant...
Comme vous le disiez tout à
l'heure, Nicole Garcia a cependant une manière d'aborder les choses
de l'amour qui...
De toute façon, les femmes vont toujours plus loin que les hommes
dans ce domaine, parce qu'elles ont beaucoup plus d'idées qu'eux
sur la question. L'amour, c'est quand même la grande histoire de
notre vie... (Silence.) Et peut-être, heureusement, celle de quelques
hommes aussi !
Quel est, selon vous, le principal
atout de Nicole Garcia réalisatrice ?
Ses défauts !... Ses qualités et ses défauts ! C'est-à-dire
à la fois son entêtement, sa détermination, son angoisse,
ses hésitations, ses doutes... Elle fait partie de ces gens qui
savent se servir de leurs défauts !
Vous vous connaissiez bien ?
On s'était croisées. Je l'avais vue au théâtre.
Elle savait que je l'aimais beaucoup en tant qu'actrice...
Vous avez très peu de
metteurs en scène en commun...
C'est vrai, mais Nicole a fait beaucoup de théâtre...
...et trois des plus grands
metteurs en scène avec lesquels elle a tourné sont justement
ceux qui manquent, pourrait-on dire, à votre carrière...
Resnais, Sautet et...
...Bertrand Blier.
Je ne tournerai sans doute jamais avec Alain Resnais et je le regrette.
Il aime beaucoup les actrices qui ont à la base une formation théâtrale.
Il a été question, à un moment donné, que
je fasse un film avec Bertrand Blier. Et j'espère que cela se fera
un jour. J'aimerais beaucoup travailler avec lui. J'apprécie son
cinéma, je le trouve très subversif. Claude Sautet, c'est
une histoire plus complexe. Cela aurait dû se faire, mais comme
je n'aime pas raconter l'historique de certains projets, surtout quand
les films se sont faits et qu'ils sont magnifiquement réussis...
(Silence.) Mais oui, on aurait dû se rencontrer [ils
auraient dû faire "César et Rosalie"].
Dans un article de décembre
84 des Cahiers du Cinéma, il était écrit : "Il
y a chez Catherine Deneuve plus d'importance accordée au produit
fini qu'à l'instant présent du jeu".
Que c'est curieux ! (Silence.) De toute façon, pour les acteurs,
c'est ambigu. Le tournage a beau être le moment que je préfère,
jouer est à la fois un plaisir et une souffrance. On n'est pas
exactement comme on aurait voulu être. On n'est pas non plus toujours
à la hauteur de ses propres ambitions. C'est vrai qu'il y a des
moments où la souffrance l'emporte sur le plaisir. La réussite
d'une scène dépend de tant de personnes sur un tournage...
Alors, au moins, quand le film est fini, il a le mérite d'exister.
Cela devient soudain une réalité...
Votre plaisir a-t-il beaucoup
évolué au fil des années ?
Oui. J'ai désormais plus de plaisir que d'appréhension.
Même s'il y a encore des moments où le trac m'envahit, où
j'ai peur... Mais c'est vrai, c'est un métier très, très,
très dur, surtout pour les femmes. J'ai une chance folle d'avoir
réussi à traverser comme ça le cinéma et toutes
ces époques sans avoir vécu de périodes trop difficiles.
Quand je vois certains destins, certaines carrières... Oui, j'ai
vraiment une chance inouïe de n'avoir jamais connu de tunnels !
Vous vous sentez plus libre
aujourd'hui ?
Peut-être. C'est un des avantages du temps et il n'y en a pas beaucoup
! (Rires.) J'ai plus besoin du cinéma aussi. Cela a non seulement
pris beaucoup d'importance dans ma vie, mais ça mobilise une grande
partie de mon temps...
Avant, vous disiez que le cinéma
n'occupait que 50 % de votre vie. Et maintenant ?
On est peut-être passé à 60 % ! (Silence.) Hier, je
pensais justement à tout ça, à la place que le cinéma
prenait dans mon existence... Mais je suis une amoureuse du cinéma...
Cela se sent à travers
vos choix et à la manière dont vous passez naturellement
d'une famille à l'autre, comme s'il n'y avait finalement aucune
frontière entre Philippe Garrel et Gabriel Aghion, Nicole Garcia
et Raoul Ruiz, Leos Carax et Régis Wargnier...
Mais, pour moi, il n'y en a aucune ! Quand certains me disent que je prends
un risque en tournant avec tel ou tel metteur en scène, je leur
réponds qu'ils se trompent. Le risque n'est pas là ! Il
est ailleurs. Le risque, c'est avant tout de se répéter.
C'est de s'ennuyer et de devenir ennuyeux. De ne pas surprendre et donc
de décevoir... Si je choisis un film, c'est d'abord parce qu'il
me plaît, parce que je ressens alors de la curiosité, de
l'envie et du désir... Ma chance, c'est que je suis curieuse, que
j'ai envie d'aller voir partout. Quand on a fait autant de films, on a
envie de s'ouvrir sur autre chose. instinctivement, j'emprunte des sentiers
où je n'ai pas l'impression d'avoir été auparavant,
ou alors pas complètement...
Avez-vous eu des moments de
lassitude ?
Pas souvent, mais cela m'est arrivé d'être lasse sur un plan
à la fois professionnel et personnel, j'ai même envisagé
d'arrêter, mais bon, cela ne m'est arrivé qu'une ou deux
fois en trente-cinq ans de carrière, alors... Et curieusement,
ce n'est pas quelque chose de très récent. J'étais
plus près de mes 40 ans, me semble-t-il. (Elle réfléchit.)
Oui, c'est ça... A l'époque, je tournais "Le choix
des armes". Cela n'avait rien à voir avec ma carrière,
parce que je sortais juste du "Dernier métro", qui avait
été un triomphe. C'était dans ma tête...
Cela dit, quand on revoit Le
choix des armes", on peut lire dans votre regard une vraie mélancolie...
(Visiblement troublée) C'est vrai ? (Silence.) Je me trompe alors.
Cela devait se voir... De toute façon, il faut quand même
que je fasse attention, parce que si je me laisse aller, j'ai trop souvent
le regard mélancolique.
Jamais chez Téchiné
!
Oui, mais son cinéma est tellement vivant. On parle tout le temps.
Il y a de l'émotion. Il se passe toujours quelque chose dans les
films d'André. Il y a une vitalité incroyable.
On sent que les deux cinéastes
qui ont eu sur vous la plus grande influence cinéphilique sont
François Truffaut et André Téchiné...
Jacques Demy m'a beaucoup apporté aussi. Ce sont des rencontres
très importantes dans ma carrière d'actrice, mais aussi
et surtout dans ma vie de femme... Quelqu'un comme André Téchiné
m'a tellement apporté, à la fois au cinéma par tout
ce qu'il m'a donné à faire dans ses films et ce qu'il a
montré de moi, et dans la vie aussi, par tout ce qui habite nos
conversations depuis dix-sept ans... Cela fait si longtemps qu'on est
amis ! Nous avons des goûts communs. II y a tellement de choses
que nous aimons faire ensemble...
On dirait que depuis votre rencontre
sur "Hôtel des Amériques" (81), vos personnages
se frottent davantage à la réalité...
Peut-être. En tout cas, André m'a beaucoup aidée à
aller dans une direction que je pressentais en moi mais où, sans
lui, je ne serais pas forcément allée aussi rapidement.
Il m'a fait gagner du temps. Il m'a beaucoup poussée vers une certaine
forme de nudité, de vérité, quelque chose qui, dans
mon jeu, est aujourd'hui à la fois plus simple et plus complexe...
Vous avez dit que sans vos conversations
avec Téchiné, vous n'auriez pas accepté "Place
Vendôme"...
Oui, mais ça, je l'ai dit un jour où l'on me demandait de
faire un constat d'actrice sur ma fameuse carrière ! Cela m'amuse
toujours quand on me parle de bilan. Comme si une carrière se résumait
à des soustractions, des divisions... Une carrière d'actrice
est faite de choix qui s'additionnent les uns aux autres. Mais aussi de
refus, de projets qui ne se font pas... Alors, c'est vrai que dans ce
contexte, ma rencontre avec André a vraiment été
déterminante dans mon évolution de femme. Il m'a aidée
à avoir plus de courage pour affronter certaines choses de ce métier
qui m'angoissaient. De toute façon, il faut se faire peur...
Vous avez toujours peur ?
Oui. Heureusement pas tout le temps, parce que sinon, je serais épuisée,
mais un petit peu... Avoir peur, cela signifie aussi qu'on n'a pas toujours
de repères. C'est bien de ne pas être trop dans ses marques
!
Comment vivez-vous les réactions unanimes que
votre prestation dans "Place Vendôme" déclenche
déjà après les premières projections de presse
?
Curieusement, ce n'est pas la chose qui me met
le plus à l'aise ! En ce moment, j'ai la chance de tourner, j'ai
donc une excuse pour fuir tout ça, mais... Je me souviens de François
Truffaut, le soir de la première du "Dernier métro".
On lui serrait la main. Tout le monde le félicitait et il me disait
: "C'est un enterrement ! C'est un enterrement !" Comme si toutes
ces réactions trop positives marquaient la fin de quelque chose.
Il y a quelque chose de mélancolique là-dedans. De toute
façon, de manière plus générale, je trouve
le consensus dangereux...
Cela dit, on sent bien que depuis
quelques années déjà, il y a un véritable
consensus autour de vous...
Mais il y a aussi des gens à qui je ne plais pas du tout. Et c'est
très bien ! Cela ne m'angoisse pas, c'est même plutôt
rassurant, parce que sinon, j'aurais trop l'impression d'être un
stéréotype. Bien sûr, que les réactions sur
"Place Vendôme" soient bonnes, cela me fait plaisir, je
suis contente que les gens pensent ça, mais je préfère
qu'ils ne m'en parlent pas trop. Voilà ! C'est sans doute une forme
d'orgueil, mais c'est aussi de la timidité... En fait, j'ai du
mal à accepter qu'on dise des choses de moi devant moi. J'ai toujours
été comme ça. C'est une question de caractère
et cela ne révèle rien sur moi de particulièrement
positif..
Savoir qu'au même moment,
Nicole Garcia, Leos Carax, Philippe Garrel, Gabriel Aghion, Régis
Wargnier, Xavier Beauvois... écrivent pour vous, c'est un luxe,
non ?
J'ai la chance que, depuis un certain temps, ce soit une réalité
! Quand, à l'étranger, surtout aux Etats-Unis, on me parle
des difficultés que rencontrent les actrices de plus de 40 ans,
je leur réponds que justement, ma chance c'est de travailler en
Europe... Bien sûr, cela me réjouit qu'on écrive autant
pour moi, mais ce qui me fait le plus plaisir, c'est qu'à travers
les films que j'ai pu faire, j'ai donné envie à d'autres
réalisateurs de travailler avec moi. Et peut-être de filmer
quelque chose de différent de ce qu'ils ont vu. Sentir que ce désir
est toujours aussi présent autour de moi, que j'inspire de nouvelles
situations, c'est très motivant.
Comment trouvez-vous votre liberté
dans un scénario qui a été spécialement rêvé
pour vous ?
En général, cela se passe plutôt bien. Sinon, si on
se retrouve face à des difficultés, à des choses
qu'on ne sent pas, il faut avoir le courage de faire de la peine. Dans
ce genre de situations, je suis généralement assez directe.
On ne peut pas toujours être diplomate. Et cela, même s'il
faut ménager les gens, leur énergie et leur sensibilité.
Il faut être honnête...
Ce n'est pas le mot. De toute façon, on est tous malhonnêtes.
En tout cas, il ne faut pas laisser d'espoir quand on n'y croit plus soi-même.
On vous ménage beaucoup
?
J'espère, oui ! Je me protège pas mal aussi ! Mais je suis
assez aidée, je suis... Enfin, j'ai quand même eu mon lot
de tristesse et de difficultés. J'aime bien qu'on me ménage,
parce que je me sens très vulnérable. On peut tout me dire,
mais pas n'importe quand, pas n'importe comment...
Beaucoup de comédiennes,
qui ont commencé ce métier après vous, disent que
vous êtes la première actrice à avoir repoussé
les limites de l'âge et que, grâce à vous, ce sera
sans doute moins difficile pour elles de vieillir au cinéma...
C'est tout simplement dans l'air du temps...
C'est beaucoup vous aussi !
Ah, oui ? J'ai surtout la chance de faire partie d'une époque où
les gens ont moins d'a priori qu'avant, et même moins de préjugés
moraux. Dans "Belle-maman", Vincent Lindon tombe amoureux de
moi le jour où il épouse ma fille. C'est quand même
assez gonflé comme idée de départ, mais on se dit
qu'aujourd'hui, c'est possible, alors qu'il y a quinze ans, cela ne se
serait pas passé comme ça... (Un temps.) Cela dit, si les
autres actrices pensent vraiment que j'ai repoussé certaines limites,
alors tant mieux. Cela me fait plaisir. Avoir l'impression d'ouvrir une
brèche, c'est bien...
Vous allez tourner prochainement
avec Sandrine Bonnaire dans "Est-Ouest" de Régis Wargnier.
Comment voyez-vous les comédiennes de cette génération
?
D'abord, je me réjouis de retrouver Régis sur un tournage
Celui d' "Indochine" a été un bonheur... Ensuite,
c'est un rôle qui a beaucoup compté pour moi, qui a eu beaucoup
de retombées. Le rôle de la maturité... Et puis, j'aime
énormément Sandrine. Je suis très heureuse de tourner
avec elle. On avait eu un projet, il y a quelques années, avec
André Téchiné mais, malheureusement, le film n'avait
pas pu se faire... C'est sûr que j'ai mes préférences
parmi les actrices. Je les connais bien. Que ce soit Isabelle Adjani ou
les autres, j'ai une très grande curiosité à leur
égard... D'autant plus que je vais beaucoup au cinéma et,
on a beau dire ce qu'on veut, en regardant quelqu'un sur l'écran,
surtout si on fait ce métier, on comprend beaucoup de choses de
son caractère. Il y a tant de choses de soi qui passent à
travers les films. Des choses que l'on ne connaît pas soi-même
forcément d'ailleurs...
Dans le film de Régis
Wargnier, vous allez jouer une actrice de théâtre...
Je sais ce que vous allez me demander, mais la réponse est non,
non et non ! Je ne veux pas monter sur scène.
C'est amusant de voir à
quel point - entre Manoel de Ollveira, Raoul Ruiz, André Téchiné,
Xavier Beauvois... - votre itinéraire et celui de votre fille,
Chiara, se croisent...
Ça aussi, c'est très important pour moi. On parle beaucoup
de cinéma ensemble, de nos goûts, des films qu'on a vus...
Chiara est très cinéphile et ça compte beaucoup pour
elle. Elle a son avis et sa personnalité, aussi bien dans ses choix
que dans ses discussions...
Laquelle influence l'autre ?
Sans doute elle. Il faut dire qu'en plus, elle voit tout. Je trouve que
Chiara est une fille courageuse. Elle est très gonflée dans
ses choix. Ce qu'elle fait dans "A vendre" - qui est un film
que j'aime vraiment beaucoup et où tous les comédiens, à
commencer par Sandrine Kiberlain, sont formidables - est très difficile
à jouer pour une jeune femme de son âge. Elle est à
la fois triste et forte, très juste...
Lorsqu'on a l'occasion de vous
voir sur un tournage, comme dernièrement sur "Belle-maman"
en Martinique, on se rend vite compte à quel point vous aimez rire,
manger, vivre... Vous n'êtes pas inquiète non plus de vous
coucher tard et de tourner tôt le lendemain matin...
Mais il est là, mon instinct de vie ! (Rires.) J'ai ce goût
pour une vie réelle et concrète. J'aime être avec
les autres. Je suis une bonne vivante ! Les gens qui ne me connaissent
pas pensent que je suis extrêmement équilibrée, que
je prends tout en compte, que je me couche à 11 heures du soir
pour être fraîche le lendemain matin sur le tournage, mais
c'est complètement faux. Je refuse cette image ! J'ai droit à
mes contradictions et à mes folies. Bien sûr, dès
que je me sens sombrer, je redonne un coup de pied, mais contrairement
à ce qu'on croit, je ne suis pas du tout raisonnable. De toute
façon, pour choisir ce métier... Aujourd'hui encore, ma
mère me dit : "Mais ma petite fille, tu n'es pas raisonnable
!" Elle devrait pourtant le savoir, je suis comme ça depuis
que j'ai 15 ans ! (Rires).
André Téchiné
nous a dit un jour : "La force de Catherine, c'est qu'elle ne lâche
pas. Ni dans sa vie personnelle, ni dans sa vie professionnelle".
A partir du moment où je fais quelque chose, j'essaie de ne pas
laisser tomber. C'est aussi la peur ou plutôt l'envie de ne pas
décevoir... Il faut se tenir.
Quelle est la principale difficulté
que vous ayez dû surmonter ?
Dans la vie, c'est la peur... Et pour être plus précise,
j'avais surtout peur d'être différente. Je viens d'une famille
où nous étions plusieurs surs. C'était un groupe,
donc nous devions fonctionner de manière continue et complémentaire.
J'avais peur aussi de ne pas arriver à être assez raisonnable.
Cela m'a pris du temps pour comprendre et admettre que, même si
j'étais mûre, je ne serais finalement jamais une grande personne...
Mais cette enfance qu'il y a
en vous se devine facilement dans les personnages que vous jouez.
Peut-être alors qu'il est là, le point commun entre les films
qui m'attirent. Cela dit, ce n'est pas forcément moi qui ai donné
cette couleur-là à mes personnages, mais les réalisateurs
avec lesquels j'ai choisi de travailler... Que ce soit André ou
Nicole, ils ont quand même aussi pas mal d'enfance en eux... C'est-à-dire
qu'ils acceptent encore l'enfant qu'ils ont été.
Depuis quelque temps, vous ne
cessez d'aller aux Etats-Unis pour faire la promotion de plusieurs de
vos "classiques" tels que "Belle de jour", "Les
parapluies de Cherbourg", "Les demoiselles de Rochefort"...
Je suis l'actrice du "revival" (Rires.) C'est Martin Scorsese,
il y a deux ans, qui le premier a ressorti "Belle de jour".
Alors ça, c'est un plaisir absolu. On sait que le film est reconnu
comme un classique, qu'il a déjà une forte réputation,
on est vraiment sur des rails ! Ce n'est que du bonheur ! C'est amusant,
gai... Martin Scorsese, puis Miramax qui a sorti les films de Jacques,
font vraiment un travail formidable. Même si le succès reste
relatif, c'est bien qu'on parle aujourd'hui en Amérique de ces
films-là, de ces metteurs en scène-là... Je suis
pour la mémoire.
Quand vous avez des moments
de doutes, vous repensez à ce qu'ont pu vous apprendre des cinéastes
comme Demy, Buñuel, Truffaut ?
J'ai des petites choses qui me restent. Il y a notamment une phrase de
Buñuel à laquelle je pense souvent, pas forcément
dans les moments de doute, mais comme ça... C'était dans
"Tristana", juste avant de tourner une scène où
j'apparaissais au balcon. C'était un gros plan où je devais
sourire et Bunuel m'a simplement dit : "Et surtout, pas de psychologie
!" (Rires.) Mais c'est vrai qu'il y a quelques metteurs en scène
à qui je peux penser parfois dans des moments de désarroi...
Cela vous gêne que dans
chaque scénario, on parle de votre beauté ?
Moins qu'avant... Maintenant, on dit : "Elle est encore belle".
La beauté, c'est comme les compliments, on aimerait bien qu'ils
soient dits sans trop qu'on vous en parle ! Cela ne fait pas avancer.
Une fois de plus, c'est un sentiment ambigu qui fait à la fois
peur et plaisir.
Vous parlez de vos moments de
désarroi. De quoi viennent-ils ?
De la vie et du travail. Ce sont des moments où je ne sens plus
les choses, où j'ai des inquiétudes... Comme je suis excessive,
certaines contrariétés peuvent devenir des drames. D'un
seul coup, je dégringole. Je défais le château de
sable et tout s'écroule... Je m'écroule. Au lieu que ce
soit simplement de la tristesse, c'est du désespoir. Et j'y arrive
vite, au désespoir !
Et dans ces cas-là, le
meilleur moyen de vous en sortir, c'est quoi ?
Je me couche en me disant : "Tu sais bien que demain tout sera différent..."
II y a des moments où le désespoir est si fort... Des moments
où l'on n'espère plus...
II y a une scène dans
"Le dernier métro" qui, selon nous, vous symbolise parfaitement.
C'est lorsque vous êtes avec Heinz Bennent dans la cave, un soir
de première, juste avant que la pièce ne commence. Pour
parfaitement le rassurer, vous faites comme si tout allait bien, comme
si vous n'étiez pas du tout anxieuse et dès que vous le
quittez, vous allez, en cachette, vomir votre angoisse dans les toilettes...
Oui, oui... ça me ressemble beaucoup ! Tout va bien jusqu'au moment
où il y a quelque chose que vous n'arrivez plus à contrôler
et qui sort malgré vous... C'est-à-dire les nerfs, le plexus
bloqué...
François Truffaut disait
que vous ne craigniez pas tant d'être regardée que d'être
devinée. Qu'avez-vous encore à nous cacher ?
C'est une des flèches les plus précises qu'on m'ait lancées
!... J'espère des choses et puis... Ce n'est pas une volonté,
c'est une question de caractère. Il y a des gens qui aiment se
dévoiler ; moi, je préfère me dévoiler indirectement.
Cela dit, j'ai beau me dire que je ne veux pas trop parler, je trouve
quand même que depuis toutes ces années, je me suis beaucoup
livrée. Il y a peut-être encore des gens pour qui je reste
une énigme, mais c'est qu'ils font une lecture trop rapide des
choses...
Pensez-vous qu'en regardant
vos films, on pourrait faire un portrait très précis et
très juste de vous ?
Oui. Heureusement qu'au bout de trente ans, il se dégage quelque
chose de vous-même qui soit juste et précis. Mais il faut
aussi que les gens aient l'impression qu'il reste des pans entiers à
découvrir... Sinon, on a le sentiment d'être un livre ouvert
dont tout le monde a le droit de tourner les pages...
Vous avez dit : "J'aime
les gens qui cherchent et pas ceux qui trouvent..."
C'est vrai, j'aime les gens qui ont une curiosité et qui sont comme
ça toujours en éveil.
Et vous, que cherchez-vous ?
Surprendre et être surprise... Aimer et
être aimée...

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