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Ses interviews / Presse 1990-99 / Télé Moustique 1999 |
Repères
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Sous l'impressionnante masse de cheveux et le manteau de mi-saison, la silhouette est moins élancée qu'on ne l'imaginait. Pour rencontrer, cet après-midi, la presse à Bordeaux et promouvoir "Belle-maman", le nouveau film de Gabriel Aghion après le triomphal "Pédale douce", elle est davantage maquillée qu'aux soirées parisiennes d'il y a dix ans. L'âge peut-être, cinquante-cinq ans depuis le 22 octobre, sans doute la nécessité d'incarner sa légende d'intemporelle perfection, sûrement aussi le besoin d'ajouter un mince écran de protection à sa distance éternelle. Pour Catherine Deneuve, on n'est jamais trop inaccessible, même si les termes de la proposition ne recouvrent pas exactement leur sens commun. Madame Deneuve n'est pas amicale, heureusement, mais disponible, étrangement. Elle parle vite - c'est ce qui frappe d'abord - avec des regards et des petits rires qui n'ont pas 50 ans. Comme on le lira, quand elle évoque l'homosexualité, ses réserves ou la douleur liée au cinéma, elle ose ce qui nous apparaît comme une audacieuse sincérité mais qu'elle préfèrerait appeler le refus de la démagogie. A la fin de l'entretien, un admirateur lui tend le livre que, trente ans après l'accident fatal, elle consacra à sa sur Françoise Dorléac. Pour le signer, elle remet ses lunettes légèrement fumées mais, pour vous regarder et répondre à votre dernière question, elle les enlève immédiatement. Manie de coquette ou geste de respect ? Après avoir répondu aux demandes courantes ("Elle est aussi belle en vrai ? Sympathique ? Ca lui fait combien ?"), on ne tranchera pas ce point. Avec Catherine Deneuve, il faut se garder des interprétations. A la sortie de "Ma saison préférée", d'André Téchiné, qui est aussi son film préféré, elle obtint un droit de réponse du respectable hebdomadaire Télérama. Le portrait incriminé était élogieux mais s'attardait sur certains épisodes de son enfance pour expliquer une personnalité bancale, "soignée" par le goût du secret et le désir de respectabilité. Il se concluait sur un curieux compliment : Deneuve se décidait à devenir actrice. En 1993 et après une soixantaine de films, on comprend que la comédienne accepte mal d'être ravalée au rang de débutante prometteuse. Mais à la même époque, elle prétendait aussi s'amuser des interprétations originales suscitées par son parcours. Trois ans plus tard, dans "Les voleurs", de Téchiné toujours, elle incarnait une lesbienne. Quelques mois plus tôt, elle avait traîné en justice un magazine de San Francisco qui avait indélicatement emprunté son nom pour devenir "la revue des lesbiennes chics". Catherine Deneuve n'est pas commode. Le fait est établi mais réclame des circonstances atténuantes. Elle n'aime pas sa réputation de froideur mais tient à cette distance qui la protège. En quarante ans de carrière, l'idée de se prémunir revient d'autant plus souvent qu'il semble impossible qu'une star de sa dimension puisse rester timide et vulnérable ("Je suis mélancolique. Ca se voit tout de suite sur les visages, les enfants graves ou gais... Une nature qui s'est accentuée avec les années".). Cette volonté dépasse de loin la farouche protection de sa vie privée (procès systématiques dès les années 60) et de son intégrité physique (après l'agression d'un fan déséquilibré il y a plus de vingt ans). A tout prendre, Catherine Deneuve préfère qu'on s'en tienne à la légende plutôt qu'on en vienne à fouiller dans son existence. Le mystère Deneuve dépasse son illustre personne, il illumine ses films. C'est par là que tout a commencé. François Truffaut avançait qu'elle ne craignait pas tant d'être regardée que d'être devinée. Au cinéma, cette femme qui se donne et se dérobe à la fois, qui dit ses répliques avec une impénétrable photogénie, a constitué une passionnante énigme, capable d'éclater en jeune fille romantique dans "Les parapluies de Cherbourg" (1963) et, deux ans plus tard, d'être l'effrayante folle de "Répulsion" ou une beauté si lisse qu'aucune perversion ne pouvait l'entamer dans "Belle de jour". Mais l'heureux mystère décrit par Truffaut s'est depuis longtemps déplacé. Il ne concerne plus des personnages contradictoires mais une image invariablement sophistiquée. Elle a beau incarner turpitude, passion et même banalité ou, à une époque où cela faisait scandale, concevoir ses deux enfants hors mariage et se séparer de Roger Vadim avant la naissance de leur fils, on ne retient d'elle qu'une beauté classique et une tenue bourgeoise. Il faut croire que les gens ne vont pas assez au cinéma et ne regardent pas la télévision avec assez d'attention. Ironiquement, sa fidélité vestimentaire à Yves Saint Laurent, encombrante de ce point de vue, est une histoire d'admiration et d'amitié qui commence par une robe achetée avec son premier cachet et qui n'a connu un lien contractuel que tardivement, pour la promotion d'un parfum. De ces distorsions, Catherine Deneuve est parfaitement consciente et, même si elle ne l'avoue pas, elle semble vouloir les corriger. On dit beaucoup qu'elle encadre le travail des réalisateurs, le suscite, l'impose, le corrige à l'occasion. Elle n'aime guère souligner ses mérites mais voudrait qu'on admette que tout ne lui vient pas comme des hommages successifs portés par un vent favorable. Elle est la première à reconnaître que le temps l'obsède, que les journées sont décidément trop courtes, qu'elle n'ignore rien de son âge mais ne veut pas le considérer comme une fatalité. Elle explique que, dans sa tête, elle n'a parfois même pas 40 ans, jamais plus de 45. Mais à l'indéniable fringale de cinéma qui l'a prise ces dernières années, elle ne veut donner qu'une explication rudimentaire : ses enfants sont "casés". Christian Vadim a trente-cinq ans mais il est vrai que Chiara Mastroianni, vingt-six ans, a tourné son premier film en 1992. Elle nous explique aussi que si on la voit souvent chanter dans ses films, c'est parce qu'elle chantonne toujours dans la vie ("Avec mes parents, on chantait en voiture. J'ai repris la tradition avec mes enfants"). Ces derniers temps, de l'anecdote légère comme celle qui précède, au poids dramatique de la mort de sa sur, elle a, ponctuellement mais régulièrement, levé le voile sur cette vie personnelle qu'on connaît à peine. Comme si, même si cela ne lui ressemble pas, elle voulait enfin nous persuader de ce qu'elle a toujours affirmé : cette réalité est plus importante que son statut de star. Alors que "Place Vendôme"
est toujours à l'affiche sortent "Belle-maman" de Gabriel
Aghion et "Le vent de la nuit" de Philippe Garrel. "Pola
X" de Leos Carax est attendu en mai, "Le temps retrouvé",
adapté de Marcel Proust par Raoul Ruiz, annoncé à
Cannes, "Est-Ouest" de Régis Wargnier prévu en
automne... Votre actualité est exceptionnellement chargée,
comme si l'impatience vous avait gagnée. Vous parlez souvent des films
que vous allez voir pendant vos temps libres comme si, spectatrice ou
actrice, le cinéma occupait toute votre vie. A défaut de pause, une
comédie comme "Belle-maman" au milieu de rôles
dramatiques, c'est un peu des vacances ? D'après Gabriel Aghion,
"Belle-maman" est un film sur la famille. Mais dans son univers
"familial", un jeune marié, qui découvrira que
son meilleur ami est homosexuel, tombe amoureux de sa belle-mère,
elle-même élevée par un couple de lesbiennes. Quand vous acceptez un rôle,
vous pensez à la caution morale que vous apportez au film ? Après plus de 70 films,
il y a encore des rôles plus difficiles et le sentiment parfois
d'avoir accompli quelque chose de particulier ? Vous dites être entrée
dans le cinéma à 16 ans par facilité mais ce n'est
donc toujours pas aussi facile. A la publication du livre écrit
avec Patrick Modiano sur votre sur Françoise Dorléac
et le drame de sa disparition vous avez reçu beaucoup de lettres
de sympathie. Vous seriez moins distante et intimidante qu'on le prétend
? |
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