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Deneuve grandeur mature

Actrice mythique et femme lucide, elle a gommé son image de star dans le dernier film d'André Téchiné. Et nous dévoile, sans artifices, ses trouilles, ses bonheurs.

Elle est arrivée en coup de vent dans ce bar de palace aux lumières tamisées. Tailleur noir simplissime mais qu'on suppose griffé Saint Laurent, mèches blondes en liberté, lunettes aux verres discrètement fumés et sourire déclic sans calcul, Catherine Deneuve sort d'une longue journée de tournage, en banlieue parisienne, du nouveau film de Raoul Ruiz, "Généalogies d'un crime". Fatiguée ? Peut-être. Mais la magie est intacte. Pas la magie d'une star, non, celle d'une femme qui séduit par la vivacité de ses reparties, son sourire qui cascade sur un mot et l'absence de toute affectation dans ce qu'elle dit et la manière de le dire. Directe, concrète, enjouée à l'occasion, et répondant du tac au tac, Catherine Deneuve ne raconte - et ne se raconte - pas d'histoires.

Sa cinquantaine, elle ne rechigne pas à en parler. Elle a raison : dans "Les voleurs", Deneuve est tout simplement éblouissante. De film en film - "Hôtel des Amériques" (1981), "Le lieu du crime" (1986) et "Ma saison préférée" (1993) -, Téchiné a su dépouiller la star starissime de tous les artifices du mythe et révéler la sensibilité d'une femme. Elle ne le nie pas, au contraire, mais...

Curieusement, j'ai l'impression que, depuis dix ans, les gens ne m'ont pas vue, en dehors des films d'André. Comme si, entre-temps, il n'y avait eu que des parenthèses.

Vous le ressentez comme ça ?
Personnellement, non. Mais c'est vrai que les films avec André représentent des moments particuliers. Je suis toujours sortie de ses tournages assez bouleversée. Bouleversée que ça s'arrête. Je suis, de nature, plutôt stoïque et réaliste. Mais je me souviens qu'à la fin du tournage d' "Hôtel des Amériques", pour la première fois, j'avais éprouvé une sorte de mélancolie...

Pourquoi ?
Parce qu'André va chercher très loin la vérité de ses personnages et, donc, pousse les acteurs à se dévoiler toujours davantage... Avec lui, je suis allée dans des directions où je ne me serais sans doute jamais risquée avec d'autres.

Avec "Les voleurs", on va beaucoup parler, sans doute, de cette belle scène amoureuse dans la baignoire, avec Laurence Cote.
André l'appréhendait plus que nous, je crois. On a évoqué d'autres possibilités, plus violentes, plus troubles, plus osées. Telle que nous l'avons tournée, on sent un désir mais aussi de la tendresse entre les deux femmes.

Cette scène des "Voleurs" est pourtant d'une audace inhabituelle dans votre filmographie...
Vous croyez ? Revoyez "Belle de jour". Quand Buñuel m'a proposé ce rôle. j'ai accepté sans hésiter, mais c'était aussi audacieux pour l'époque. Et un peu risqué pour moi. J'avais 23 ans ; pour tout le monde, j'étais la jeune fille romantique des "Parapluies"... Le film m'a fait basculer dans cette zone indécise où on ne sait jamais si une femme est une vierge ou une putain. Aujourd'hui, des gens me regardent comme s'il y avait encore en moi quelque chose de "Belle de jour ". Je précise que je n'en ai absolument aucun regret.

Marie, votre personnage dans "Les voleurs", est assez éloigné de ceux qu'André Téchiné vous avait fait jouer précédemment...
II a beaucoup évolué au cours des différentes versions du scénario. Il y a eu plusieurs approches successives, plusieurs remises en question. Finalement, Marie est le personnage le plus vulnérable du film. Elle est sans défense parce qu'elle n'a pas d'agressivité naturelle. Elle est entraînée dans une passion qui va jusqu'au don total de soi. Jusqu'au point de disparaître quand elle sent qu'elle ne peut plus donner.

Vous avez beaucoup discuté de la personnalité de Marie avec André Téchiné ?
Nous nous voyons souvent dans la vie, nous sommes très proches. Je ne sais pas si je peux bien parler de son cinéma, mais je le connais bien. Alors, quand on fait un film ensemble, nous parlons beaucoup, mais toujours de manière détournée : pas besoin de réunions de travail. J'ai une approche très sensorielle, très intuitive de ses désirs.

Sur "Ma saison préférée", André Téchiné avait inauguré une nouvelle méthode de travail en filmant à deux caméras. Vous aviez dit alors que cela vous stimulait. Pourquoi ?
C'est une méthode qui se rapproche des conditions du direct. On n'est jamais hors champ, toujours filmé, toujours sous tension. Ça demande beaucoup d'énergie. C'est ce que j'aime chez André : l'énergie qu'il arrive à insuffler à tout le monde.

Qu'est-ce qui vous épate encore chez un metteur en scène ?
La virtuosité. Je termine le film de Raoul Ruiz. C'est un virtuose dans le sens le plus brillant, le plus baroque du mot. Il est inventif, Imaginatif. Ce qu'il fait est tout sauf banal. Ça me stimule, ça m'intéresse, ça m'amuse. Ce qui m'épate, en fait, c'est le talent des autres.

Pour les comédiens qui ont de l'expérience, on a l'impression que le talent est acquis. Qu'il peut difficilement être remis en cause...
Ah, non, je ne suis pas d'accord du tout ! Moi, je suis quelqu'un qui doute sans cesse. Et puis, je vois parfois des acteurs que j'aime beaucoup, des grands acteurs, très moyens avec certains metteurs en scène. Seul, un acteur ne peut pas exprimer son talent. Il a besoin d'être sollicité, dirigé, mais aussi poussé, aimé, porté, pour ne pas refaire ce qu'il a déjà fait.

Vous avez dit "aimé" ?
Vous savez, c'est une situation précaire, très exposée, de jouer la comédie devant des gens qu'on ne connaît pas. Il faut se sentir un peu aimé, oui.

L'expérience, ça aide tout de même ?
Il faut être encore plus vigilant car le danger, c'est la facilité. Quand je tourne une scène, je ne pense jamais au public, mais je me sens spectatrice privilégiée : je repère ce qui risque de ne pas être clair, ou mal compris... Si l'on n'est pas assez attentif, critique, alors la banalité guette.

Vous êtes facilement autocritique ?
Oui, assez. Mais je suis aussi critique envers les autres. Exigeante.

Vous, Catherine Deneuve, vous disposez d'une espèce de pouvoir de fait sur un tournage...
Pouvoir ? Non. J'ai toujours pensé que l'acteur était un instrument. Je ne me considère pas comme quelqu'un qui crée mais comme quelqu'un qui répond à une demande de création. En revanche, si l'on sent que quelque chose ne fonctionne pas, il faut avoir le courage d'intervenir. Exprimer le mieux possible ses doutes, son désarroi, son impuissance, même. Tout le problème est de savoir à quel moment il faut être là et à quel moment il est préférable de rester en retrait. C'est très délicat. Car je n'aime pas les rapports de force mais, en même temps, je suis très directe. Je ne fais pas un film de plus, je m'intéresse vraiment au sujet, aux personnages. Si je suis dans un projet, c'est tout entière. Je vais voir les rushes, même quand je ne tourne pas...

Quel genre de plaisir éprouvez-vous à tourner aujourd'hui ?
II n'y a pas souvent de plaisir lors d'un tournage. Plutôt de l'excitation, de la curiosité.

De l'angoisse ?
Ah, oui ! Ça m'arrive encore. Pour certaines scènes d'émotion ou de violence. Et puis, c'est étonnant de constater à quel point, le premier jour, malgré l'expérience, on peut se sentir démuni face à des inconnus...

Qui, peut-être, ont, eux, peur de vous car vous les impressionnez ?
Mais c'est terrible... On me dit souvent : "Tu ne te rends pas compte, mais tu les impressionnes". Je réponds : "S'ils savaient à quel point j'ai la trouille..." Les gens du film attendent tellement de vous ! Cette peur alourdit encore ma responsabilité. J'essaie de me libérer de ce poids-là car il n'aide pas vraiment à jouer la comédie...

Il n'y a pas eu de "creux" dans votre carrière. Vous n'avez jamais cessé de tourner.
Oui, j'ai eu beaucoup de chance. Ce n'est pas l'envie de travailler à tout prix : je pourrais très bien rester six mois inactive. C'est l'envie de faire des films, qui me pousse. J'ai un gros appétit de cinéma. Je vais beaucoup au cinéma. Je vis "dans" le cinéma.

Les comédiens disent qu'un acteur qui ne tourne pas n'existe pas. Vous le pensez aussi ?
Dans mon cas, c'est un peu différent. Etant un peu connue, j'existe en dehors des films. Mais je sais aussi, que si je n'ai pas tourné depuis un moment, je commence à me poser des questions...

Vous considérez qu'il y a des films "pour rien" dans votre carrière ?
Quand on a tourné plus de soixante films [soixante-dix en réalité, NDLR], il y a forcément des films "pour rien". C'est comme la vie : on aimerait bien effacer certaines années. Mais il a fallu en passer par ces années-là pour avancer, aller plus loin. On entretient souvent l'idée qu'un acteur connu a volé de choix en choix, de succès en succès. Mais c'est faux ! Ce n'est pas un conte de fées, le cinéma...

A vos débuts, vous pensiez que c'était "un conte de fée" ?
Pas du tout. Le cinéma, au départ, était un accident, et, jusqu'à ce que je rencontre Jacques Demy, je n'étais pas sure du tout de continuer à faire des films. Je n'avais ni la vocation ni la passion de jouer. Ma chance, c'est d'avoir eu très vite ensuite la possibilité d'enchaîner et d'apprendre avec des gens passionnants comme Polanski, Buñuel, Truffaut... Et puis, la chance, encore, de faire des films importants à des moments charnières.

Par exemple ?
"Le dernier métro". Je me souviens que Truffaut disait avoir voulu me donner un rôle de femme sérieuse, avec des responsabilités, où seraient mises en valeur à parts égales la séduction et la maturité. Maturité par rapport à l'amour, au travail, à la vie...

D'autres films charnières ?
Ceux d'André [Téchiné], bien sûr. Parce qu'il m'a... [elle hésite]. Ça fait longtemps que j'existe. Le danger, à un certain moment, c'est de devenir une statue...

Vous faites allusion au "personnage Deneuve" ?
C'est quelque chose d'ambigu, cette image. Car d'un côté, c'est vrai, j'ai toujours accepté de participer à des manifestations publiques, officielles, et de l'autre côté, j'ai continué à... jouer à la marelle, à vivre ma vie, aussi librement que possible. Je ne me suis jamais laissé enfermer dans un personnage. Beaucoup de gens croient que j'ai tout organisé, que j'ai bâti ma carrière, une image. En fait, je n'ai jamais rien géré, comme on dit. Il y a eu énormément de hasards.

Etre Catherine Deneuve en représentation...
... C'est un autre rôle. C'est amusant. Je le prends comme un jeu. Sérieux. Un jeu sérieux comme l'est le cinéma. Mais je ne me suis jamais laissé prendre par les apparences de la notoriété. Cela ne m'a jamais épatée. Même à 20 ans. A aucun moment je n'ai eu l'impression de devenir un objet, une idole. Ma vie a toujours été plus concrète que ça...

Cette image de star a-t-elle fait de l'ombre à certains de vos personnages ?
Quand on est connu, quel que soit le film, c'est difficile de faire oublier ce qu'on est et les personnages qu'on a joués précédemment, il faut savoir qu'on a un quart d'heure dans chaque film pour régler ce problème et pour imposer son nouveau personnage.

Cela veut-il dire qu'il faut arriver à gommer le personnage public ?
II y a des films où il faut savoir descendre de deux ou trois crans - je parle de l'apparence physique -, par souci de crédibilité. Ce n'est pas de la modestie, ce serait plutôt de l'orgueil.

Dans certains films, "Indochine", par exemple, on a l'impression, au contraire, que le réalisateur joue à fond sur "l'image Deneuve"...
Oui, sans doute... L'important, c'est de ne pas se tromper sur les rôles qu'on accepte et sur les raisons pour lesquelles on les accepte. Avec André Téchiné, je peux aller très loin pour me "gommer", au bénéfice du réalisme. Je ne suis pas sûre d'y parvenir avec d'autres.

L'idée du temps qui passe vous angoisse-t-elle ?
Vieillir, c'est difficile à vivre pour n'importe quelle femme, mais pour une actrice, c'est emmerdant. Très très emmerdant ! Et les comédiennes qui vous disent le contraire sont des menteuses !

D'une certaine manière, Téchiné vous a aidée à franchir des étapes.
Bien sûr. Mais cela reste douloureux. En même temps, on s'en veut de souffrir pour ça, puisque c'est la vie. Mais dans la vie, tout le monde n'est pas confronté à son image comme l'est une actrice. Certains jours, c'est dur, et on souhaiterait un peu plus de douceur. Vieillir ne m'obsède pas mais ça me préoccupe. Car on sait que plus l'on avance, moins il y aura d'opportunités magnifiques à jouer la comédie. Interpréter des rôles de mère, ce n'est pas un problème en soi. Reste qu'il faut se faire à l'idée qu'il faudra un jour ou l'autre refuser certaines propositions parce que l'on n'a plus l'âge du rôle...

Cela vous est déjà arrivé ?
Oui, et j'ai été assez contente d'avoir eu ce courage. C'est tellement facile de se bercer d'illusions... En même temps, je n'arrête pas de tourner. Je suis consciente que c'est relativement plus facile de parler de ce problème de l'âge quand vous savez que d'autres films sont en vue, que des auteurs sont en train d'écrire pour vous. J'ai cette chance inouïe... Finalement, je ne suis pas du tout certaine que j'arrêterai ce métier de mon plein gré

Dans "Les voleurs", je risque tout


Par : Jean-Claude Loiseau
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Films associés : Les voleurs, Belle de jour, Ma saison préférée, Hôtel des Amériques, Le dernier métro



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