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Ses interviews / Presse 1990-99 / Télérama 1997 |
Repères
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Secrète, insaisissable, elle se dédouble entre les mains du "professeur" Ruiz. On n'est pas près de dissiper le mystère Deneuve... Là, dans ce même bar d'hôtel à la semi-pénombre cossue, elle n'attend pas qu'on lance une question pour entrer dans le vif du sujet : la clarté du récit, qui lui importait plus que tout. Les films de Raoul sont toujours très originaux,
mais pas toujours faciles à suivre, non ? A la lecture d'un scénario, je me sens comme la première spectatrice, dit Catherine Deneuve. Cela lui plaît de parler d'un travail, finalement, bien ficelé. Et on soupçonne une discrète fierté à avoir mis son nom dans la balance d'un projet signé d'un auteur prolifique mais incemable, expert en concepts, genres, expériences hétéroclites, aussi fascinant que déroutant. La comédienne Deneuve a pu "ouvrir quelques portes", mais il n'est pas question de s'y attarder. Il y avait ce sujet "très palpitant" et "ces deux rôles de femme, déraisonnables, très amusants à jouer". Et puis " l'humour, cette légèreté narquoise avec laquelle est abordée la psychanalyse. On n'en parle généralement qu'avec gravité. Raoul, lui, parce qu'il connaît magnifiquement le sujet, pouvait se permettre d'être léger"... Résumons : une rencontre peu habituelle où tout concourt à "stimuler l'imagination". Dans sa vie, Catherine Deneuve est très peu comédienne. Une femme qui "calcule très peu", se livre sans frime mais sans se dévoiler tout à fait, et qui ne fait pas mystère de son goût pour les vertus concrètes du métier. Le seul mot qu'elle ne prononce jamais, c'est le mot "star". "Vedette", à la rigueur. Si on insiste, elle se juge "un peu connue". Mais c'est pour aussitôt préciser que la notoriété, ça ne pèse pas lourd sur un plateau de cinéma. Cela n'a pas échappé à Raoul Ruiz, qui est encore étonné de l'avoir vue aussi "disciplinée". Elle rit. II a dit ça ? Moi, je dirais plutôt : attentive. Mais disciplinée, ça me va ! C'est la moindre des choses dans un métier qui pousse tellement à se disperser... Ruiz dit encore : "Certains comédiens aiment qu'on leur raconte des histoires ou qu'on leur fasse des théories. D'autres trouvent ça inutile. Catherine Deneuve appartient à cette dernière catégorie. Mais elle aime bien qu'on lui parle. Et elle s'implique énormément". Commentaire en suspens. Il s'agit de désamorcer le sérieux qui guette. Elle grignote trois cacahuètes, se le reproche, sourit. Allume une cigarette. La psychanalyse me fascine. Ce que j'en sais - et que tout le monde devrait connaître, car c'est d'un enrichissement incomparable - me suffisait pour le film. Puis, avec un soupçon d'ironie : Vous savez, dans un film, on fait beaucoup semblant... Elle n'a qu'une envie, à cette seconde : échapper aux à-peu-près de rigueur sur le jeu de l'acteur, larguer les phrases toutes faites de la promo. Etre vraie. Quand on a fait beaucoup de films, on court deux dangers : devenir blasé et tomber dans la facilité. C'est pour cela que les gens originaux continuent de m'intéresser. En plus, Raoul a le charme des gens très intelligents, très cultivés, très curieux. Il me fait penser à un merveilleux professeur. On ne se lasse pas de l'écouter... Pour plonger dans "Généalogies d'un crime", Catherine Deneuve s'était une fois de plus fiée à cet "instinct" que François Truffaut jugeait "très fort" chez elle n'est sans doute la clef d'une carrière qui compte des ratages mais peu de faux pas médiocres : L'instinct ne m'a pas empêchée de me tromper, mais, au moins, ce sont des erreurs que je n'ai pas eu à regretter... Truffaut avait pointé le "mystère
Deneuve" quand elle était sa "Sirène du Mississipi"
: "Catherine ajoute de l'ambiguïté à n'importe
quelle situation, n'importe quel scénario, car elle donne l'impression
de dissimuler un grand nombre de pensées secrètes, qui se
laissent deviner à l'arrière-plan puis, peu à peu,
deviennent l'essentiel et forment le climat du film". Ruiz ne s'y
est pas trompé. C'est cette belle et profonde empreinte qu'elle
laisse dans son film. En allers et retours millimétrés,
de Jeanne la psy à Solange l'avocate, l'actrice qu'on découvre
aujourd'hui est doublement ambiguë et troublante. Après trente
et quelques années de cinéma, on peut appeler ça
la griffe Deneuve. |
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