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Deneuve - Téchiné

Ils ont le même âge. Et une même tendresse l'un pour l'autre. Catherine Deneuve et André Téchiné ont tourné quatre films ensemble : "Hôtel des Amériques" (1981), "Le lieu du crime" (1985), "Ma saison préférée" (1993), "Les voleurs" (1996). Quatre tournages, dont ils ont gardé les mêmes souvenirs, qu'ils évoquent presque avec les mêmes mots. Elle, l'impulsive, parle vite ; lui, le réfléchi, parle peu. Elle aime son mélange de douceur et de violence, il est fasciné par son mystère insondable. Ils sont différents mais complices. Mieux : complémentaires. Avec ce couple hors du commun, nous achevons notre série sur les duos de cinéma.

Catherine Deneuve

Premier film et premier rendez-vous

Le premier film d'André que j'ai vu, c'est "Souvenirs d'en France". Et j'ai tout de suite été sensible à sa façon de filmer, très libre, très belle, très lyrique. Ce plan-séquence surprenant, à la sortie d'un cinéma qui projetait un film avec Garbo, où tout le monde était en larmes sauf Marie-France Pisier, qui riait et s'écriait : "Foutaises, foutaises". II y avait un ton, une originalité. Une fluidité magnifique. Je l'ai rencontré pour la première fois dans le bureau de notre agent, Gérard Lebovici. J'étais intimidée : les gens pensent toujours que le fait d'être connu vous donne de l'assurance pour aborder les autres, ce qui est faux. Mais je le savais très secret, alors j'ai tout fait pour lui donner l'impression que j'étais à l'aise. On a tourné "Hôtel des Amériques", à Biarritz, hors saison, en mai. Dans un hôtel spécialement ouvert pour l'équipe. Les tournages hors de Paris rendent plus disponible : on dîne, le soir, après les prises ; on se voit le dimanche... S'ils doivent se créer, les liens se créent plus vite. Mais, vous savez, je crois que tout se joue en quelques minutes. Certains vous donnent envie d'entreprendre à leurs côtés de longs voyages, tandis qu'avec d'autres vous ne songeriez même pas à traverser la place de l'Etoile ! Je fais des erreurs, dans la vie, comme tout le monde, je suis même si critique que je peux apparaître dure à certains. Mais question amitié, confiance, je ne me trompe pas souvent. Avec André, ce fut immédiat.

André

J'aime son mélange de délicatesse et de violence. Il montre des êtres qui ne cherchent pas à être adultes à tout prix. Des écorchés, parfois violents, qu'il observe avec délicatesse. Sans indulgence, mais avec compréhension. Il filme des gens qui cherchent plutôt que des gens qui trouvent, et ça me plaît. C'est un provincial, André. Un vrai. Il sait filmer le temps, la lumière, les saisons. Il n'est pas "parisien", style cocktail et bulles de champagne. Mais il est présent quand il faut. Il écoute. Il pose de vraies questions, donne de vraies réponses. Il est gentil, aussi. Oui, je sais, aux yeux de certains, ce n'est pas un compliment. Mais la gentillesse, que les imbéciles font semblant de confondre avec la mièvrerie, est une qualité dont on ne parlera jamais assez. Ses films m'intéressent, même quand je n'en fais pas partie. Celui qu'il vient de commencer, "Martin et Léa", j'ai envie de savoir comment ça se déroule. Je lui ai téléphoné avant le tournage ; je suis passée sur le plateau, tout à l'heure, avant d'aller tourner moi-même "Place Vendôme", de Nicole Garcia. Ainsi, j'ai le sentiment de l'accompagner. Le travail, avec lui, est intense et souterrain. Avant de commencer un film. on s'appelle : "Allez, on se voit pour régler quelques problèmes". Et puis, on parle d'autre chose. Sauf qu'au bout de deux heures on s'aperçoit que tout a été réglé. C'est un peu la méthode Ophüls, telle que la décrit Danielle Darrieux : parler de tout sauf de l'essentiel pour mieux mettre le comédien en état de tourner la séquence.

Parenté

Je le vois déjà se mettre la tête sous l'oreiller et dire : "Elle est folle, elle est folle, pourquoi a-t-elle dit ça ?" Mais c'est vrai que le cinéaste dont il est le plus proche, c'est Bergman. Cet amour des femmes. La simplicité et la complexité. Etre au plus près des visages et des sentiments. Et ce désir d'accompagner les êtres jusqu'au bout de leurs obsessions, de cerner le gouffre qui est en eux.

Audace

Le problème, quand on tourne plusieurs films ensemble, c'est de ne pas s'enfermer dans des habitudes. Refaire ce que l'on a déjà fait. André et moi, on est timides mais orgueilleux : on a envie de se surprendre. J'ose être audacieuse avec lui. Et même sans lui, mais grâce à lui : je suis sûre que "Place Vendôme", où je joue le rôle d'une alcoolique qui sort d'une cure de désintoxication, je ne l'aurais pas accepté s'il n'y avait eu, durant toutes ces années, toutes nos conversations sur le cinéma, sur les acteurs, sur la distance juste d'un comédien avec son personnage. L'audace, ça se pratique à deux.

Engueulades

Ah, il y a la fameuse histoire du "combo" ! C'est mon cheval de bataille, ça ! Le combo, c'est ce petit écran témoin - très pervers, selon moi - qui permet de visionner une prise pendant ou aussitôt après l'avoir tournée. Pour une scène techniquement difficile, c'est utile. Seulement, sur certains tournages, vous sentez l'attention de toute l'équipe se concentrer non pas sur ce qui se tourne, mais sur le reflet donné par le combo. Un reflet tellement exact qu'il fait peur. Parce qu'il prive la caméra et, même, l'acteur de la part de liberté indispensable. Bref, sur "Les voleurs", j'ai fait des déclarations incendiaires sur le combo à Libération, et André s'est senti visé. Il doit s'en souvenir...

Moments intenses

André m'a étonnée, souvent, mais tout particulièrement lors de la scène du repas de communion dans "Le lieu du crime". Cette mise en scène, si peu démonstrative, qui donnait sa chance à chacun, qui isolait les personnages pour mieux les réunir, finalement, autour du plateau de cerises qu'allait chercher Danielle Darrieux. Ah oui, là, vraiment, j'ai eu l'impression d'un moment magique. Vous savez, cet instant qui vous semble parfait et que l'on veut retenir parce qu'il est illusoire... Il y a, aussi, la scène de l'opéra dans "Les voleurs" : en la tournant, je me doutais qu'elle serait belle ; en la voyant, j'ai été ravagée, comme mon personnage sur l'écran. Tout ce que j'aime chez André est là : tant de douceur et tant de violence mêlées...

Mon film favori

Peut-être "Ma saison préférée". Au cinéma, des maris, des amants, j'en ai eu à la pelle, mais pas de frère, sinon André Dussollier dans "Fréquence meurtre". Je n'ai pas eu de frère dans la vie non plus. Alors, je m'en suis choisi un : c'est André. Un frère du même âge, mais avec une image paternelle. Moi, je serais plutôt du genre à foncer. Lui serait plutôt du genre réfléchi : "Ah non, pas question, c'est de la folie, tu ne vas pas faire ça !" On se complète. Avec lui, je ne me sens jamais en danger.

André Téchiné

Premier film et premier rendez-vous

Le premier film avec Catherine que j'ai vu, c'était "Les parapluies de Cherbourg", de Jacques Demy. On n'entendait pas sa vraie voix puisque le film avait été tourné en play-back, et, néanmoins, elle existait avec une grâce incroyable. Et puis, trois ans après, il y a eu "Belle de Jour", de Buñuel. Et, là, j'ai été fasciné : elle était donc suffisamment modeste, humble même et suffisamment forte, pour incarner les princesses de conte de fées et les bourgeoises réalisant des fantasmes sexuels avec des gens de passage. Tout en conservant son mystère. Ma première rencontre ? Oh ça, il faut le demander à Catherine : elle a une mémoire infaillible. Il me semble que c'était le jour où je lui ai proposé "Hôtel des Amériques". J'ai sûrement dû lui paraître bizarre. A la fois exalté et introverti : ça devait faire un mélange curieux. Mais je ne me souviens pas avoir renversé ou cassé quelque chose, ce dont je suis, hélas, parfaitement capable. Je suis un personnage à la Jerry Lewis ! Il m'est arrivé, plusieurs fois, en allant chez Catherine, de sonner à la porte d'en face. Un jour, à la dame qui m'ouvrait, j'ai balbutié : "Ça doit vous arriver souvent, ce genre d'erreur". Et elle m'a dit : "Non, seulement avec vous !"

Catherine

Je connais un peu Catherine dans la vie, mais, sur l'écran, au bout de quatre films, le mystère reste insondable qui me donne envie de tourner avec elle, sans fin... Peut-être parce qu'elle n'est jamais là où on l'attend. Toujours ailleurs. Toujours en avance. A tel point que, dans certains films, ses partenaires - et, parfois, ses metteurs en scène - ont du mal à la suivre : ils ne vont pas assez vite. Elle dit ses répliques à toute allure et, en même temps, les module. Elle a, donc, la rapidité et le contraire de la rapidité. Elle peut, soudain, devenir un masque d'une extrême violence. Elle vous contemple et, soudain, vous confond. Elle est opaque et légère. Et le geste le plus simple, avec elle, devient mystérieux. Elle ne fait jamais "son intéressante" comme on disait jadis, elle a, au contraire, un jeu minimaliste. Mais elle arrive à créer un suspense rien qu'en portant un verre à ses lèvres. Et, quand elle parle, c'est plus mystérieux encore : cette voix qui s'échappe, une ligne de fuite perpétuelle... Je n'ai jamais vu quelqu'un jouer aussi bien la folie. Généralement, l'acteur se vautre dans les outrances. Les grimaces, le zoo. Dans "Répulsion", de Polanski, Catherine fout vraiment les jetons ! Elle parvient, apparemment sans rien faire, à faire surgir les zones les plus profondément enfouies de l'inconscient. Elle donne l'impression que la sagesse et la folie se superposent. Mieux : qu'elles s'imbriquent. C'est ce qu'a si bien compris Buñuel quand il lui a fait jouer "Belle de jour". C'est, de toute évidence, une actrice instinctive. Elle ne travaille pas vraiment. Dans "Hôtel des Amériques", le contraste était total entre Patrick Dewaere, qui avait besoin de bosser ses répliques, de préparer minutieusement les scènes, et Catherine, qui, j'en suis sûr, apprenait son texte dans sa loge, au moment du maquillage. Lui était parfait dans son ardeur, elle, dans la fraîcheur. Moi, je crois à l'inattendu. C'est pourquoi je ne répète jamais avec les comédiens. Je mets en place les mouvements et puis je filme. Imaginez qu'au moment d'une répétition l'imprévu surgisse. Quel cauchemar de ne pas l'avoir sur pellicule ! En gros, je crois qu'au théâtre on travaille, tandis qu'au cinéma on est travaillé. C'est l'histoire, le personnage qui nous travaillent. Catherine et moi, on est là pour faire surgir cette part d'inconscient sans laquelle le film ne serait rien.

Parenté

Oh, c'est évident, et Jacques Demy l'avait trouvée bien avant moi en les réunissant dans "Les demoiselles de Rochefort" : la mère de cinéma de Catherine, c'est Danielle Darrieux. Aucune ressemblance physique. Mais la même précision et la même aisance dans le mouvement. La même légèreté. Il y a des actrices interchangeables, dont on se dit que l'une ferait aussi bien que l'autre. Et puis, il y a Deneuve et Darrieux, qui savent devenir l'émanation d'un cinéaste : il m'est impossible de concevoir "Madame de..." sans Darrieux ni "Belle de jour" sans Deneuve. En se fondant dans l'univers d'un cinéaste, elles parviennent à devenir uniques. Et ça, on ne peut pas dire que ça coure les rues !

Audace

C'est elle, l'audacieuse ! Pour "Ma saison préférée", je lui ai proposé, sans l'avoir prévue, une scène dans un jardin public où Bruno Todeschini l'agressait et à qui elle cédait. Une scène difficile, crue, sexuelle, brutale. Elle aurait pu refuser. Eh bien, non ! Et quand, au montage, j'ai eu des doutes au point de vouloir la supprimer, cette scène, c'est elle qui m'a convaincu de la garder. Je crois que la confiance est telle, entre nous, qu'il y a perpétuellement un défi : provoquer l'audace de l'autre. Pour mieux le voir se dépasser, sans le mettre en danger. Il me semble aider et soutenir Catherine mais, si j'y réussis, c'est uniquement parce qu'elle m'aide et me soutient.

Engueulades

Une seule dont je me souvienne : l'affaire du "combo" ! On tournait une scène des "Voleurs" dans un local exigu. Comme le son est, pour moi, l'élément le plus fiable de la réussite d'une prise, je suivais la voix de Catherine aux écouteurs. Alors, elle m'a reproché de ne pas regarder la scène et de me réfugier derrière ce fichu combo. Une mésentente de quelques heures...

Moments intenses

Comme je l'ai dit, Catherine arrive à m'étonner en allumant une cigarette ou en ouvrant une porte. Mais il y a deux moments où elle m'a stupéfié : dans "Hôtel des Amériques" quand elle entre dans le casino pour demander secours à un vieil ami. Cette fièvre, ce regard somnambulique, sa démarche souple et rapide : là, j'ai été sidéré. Et puis, dans "Le lieu du crime", la scène où elle va voir sa mère. La façon dont elle exprime, à la limite de l'hystérie, l'insatisfaction de sa vie, la manière dont elle parvient à suggérer qu'elle bascule dans une sorte de folie tient du miracle...

Mon film favori

"Ma saison préférée". Parce qu'après l'avoir vu Catherine m'a dit : "J'ai appris des choses sur moi". Si un film peut être une sorte de documentaire secret sur une actrice, c'est essentiel à mes yeux... Et puis, c'était l'histoire d'un frère et d'une sœur : Daniel Auteuil était mon alter ego. Car j'ai toujours dit que Catherine était ma sœur de cinéma. Et c'est de plus en plus vrai. S'il lui venait l'idée saugrenue de prendre sa retraite, je ne sais pas ce que je ferais. J'ai besoin qu'elle existe. Elle est mon repère. Sans elle, je serais perdu.



Par : Pierre Murat
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