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"Un personnage magnifique qui sombre et qui renaît"

L'un des cinéastes les plus importants dans ma vie, c'est André Téchiné. Il a fait évoluer ma perception des rôles, ma perception des autres. Marianne est un personnage magnifique. Nicole Garcia me l'a offert, et je ne vois pas comment j'aurais pu le refuser. Mais je ne sais pas si j'aurais su, avant ma rencontre avec Téchiné, en accepter la nudité. L'épure. Toutes les héroïnes d'André ont un désarroi profond sur le sens de la vie. Quoi, la vie ne serait donc que cela, semblent-elles nous dire... En cela, oui, Marianne leur est proche. Il y a même une scène où, vêtue d'un imper et le visage à nu, elle m'a fait penser à la Lili du "Lieu du crime". Son mélange de tristesse et de désarroi. Mais Lili trouvait sa liberté dans une forme de folie. Un isolement qui la protégeait d'une réalité trop cruelle. Marianne, elle, suit un chemin inverse : elle s'est enfermée dans l'alcool parce que c'était le seul secours à son désespoir. Et, soudain, elle a le choix : sombrer encore plus profond ou céder à la curiosité qui la reprend, à cette force vitale qui, en elle, n'était pas morte.

Personne ne traverse la vie comme une comète insensible et tranquille. Chez tous les êtres, il y a une fêlure. Seulement, certains réalisateurs ne font que la suggérer et d'autres en font le cœur de leur œuvre, comme Téchiné ou Nicole Garcia. Pour une comédienne, rendre sensible cette fêlure, c'est s'approcher de la vérité. Lorsqu'on peint leurs faiblesses, les gens alors deviennent vivants, et délicats, et passionnants.

J'aime le dialogue de la scène où Marianne sort de la salle de bains et dit au personnage joué par Jean-Pierre Bacri : "Pourquoi ai-je vécu ainsi depuis vingt ans ?" C'est un moment très fort et très vrai. Parce que, si un homme vous quitte, c'est terrible, mais s'il vous trahit, le monde s'écroule : on peut ne jamais s'en relever. La plus grande faiblesse de Marianne, c'est précisément de s'être laissé faire. Elle a beaucoup de tendresse pour son mari, mais elle est devenue son enfant. L'enfant qu'ils n'ont pas eu. Tant qu'il est en vie, elle n'a ni l'envie ni le courage de s'assumer. Lors de l'enterrement, par exemple, elle regarde une petite fille jouer dans l'allée du cimetière et, d'une certaine façon, elle est encore comme elle.

En même temps, sa grande force, c'est de ne jamais se prendre au sérieux. Ni elle ni les autres. Dans la chambre d'hôtel où ce jeune homme veut la piéger, on voit tout de suite que c'est quelqu'un de très aigu. Son flair se réveille, elle est comme une joueuse de poker qui mesure en un instant le bluff de l'adversaire...

Bien sûr, la scène la plus dure à tourner, ça a été les retrouvailles, dans le café, avec Battistelli (Jacques Dutronc). Le film reposait tellement sur ce moment que j'ai eu envie de dire à Nicole : "Ne montrons rien. C'est du domaine de l'indicible, de l'immontrable !" Mais la scène est très belle, avec ces années d'absence qui, soudain, affleurent... En plus, Marianne était censée avoir bu pour se préparer à ce face-à-face, ce qui introduisait une difficulté supplémentaire : la dérision dans l'émotion...

Je joue toujours très vite. Mais je parle aussi très vite dans la vie. On est comme ça, chez les Dorléac ! Il y a un moment, dans "Place Vendôme", où j'ai un monologue face à Nathalie (Emmanuelle Seigner) que j'ai interprété, en effet, à toute vitesse. Mais il fallait que je la coince ! Si je lui laissais le temps de m'interrompre, je n'avais plus aucune chance d'obtenir d'elle ce que je voulais. Il fallait que ça ressemble à un halètement. Il fallait qu'on ne voie plus Marianne l'alcoolique, Marianne la courtière, mais une femme face à son double et qui partage avec elle la blessure du passé. J'ai joué cette scène comme une prise d'otages.

Susciter une émotion, aujourd'hui, c'est encore plus dur qu'à mes débuts. C'est plus difficile de surprendre. Ce qui me manque, c'est l'insouciance que j'avais au moment des "Parapluies de Cherbourg" et des "Demoiselles de Rochefort". L'expérience, c'est parfois un poids.

Mais l'audace, c'est aussi l'inconscient, l'oubli. Et ça, il me semble l'avoir toujours. Ce qui me stupéfie, c'est que certains soient stupéfiés à l'idée que j'accepte d'incarner une alcoolique dans "Place Vendôme" ou que je tourne avec Leos Carax ou Philippe Garrel. Ce n'est pourtant pas difficile à comprendre : si un acteur ne prend pas de risques, il est foutu !

Après "Les parapluies de Cherbourg", j'ai enchaîné sur "Répulsion", le rôle d'une schizophrène, sous la direction de Roman Polanski, alors inconnu en France, mais dont j'avais vu "Le couteau dans l'eau". J'ai toujours procédé ainsi. Certains rushes de "Place Vendôme", certains films d'André Téchiné me paraissent cruels, mais tellement assumés. Et alors ? Ils ne sont pas inutiles, ils expriment la trajectoire d'un personnage. Le plaisir d'une comédienne, c'est d'incarner et une Marianne qui sombre et une Marianne qui renaît.

Je suis une actrice ! J'ai l'impression que, tous les deux, trois ans, on me redécouvre. Peut-être est-ce, d'ailleurs, ce qui me permet de durer...



Par : Pierre Murat
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