Ses interviews / Presse 1990-99 / Têtu 1996
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"Quand on a joué un personnage qui demande "une robe couleur de lune" on devient forcément une icône idéale pour les gens qui ont l'habitude de demander l'impossible"

Dans "Les voleurs", elle incarne, impérieuse, une prof de philo lyonnaise follement amoureuse d'une jeune fille. L'an prochain la verra dans le double rôle du dernier Raoul Ruiz, et on parle d'un tournage avec Leos Carax. La femme, le cinéma, l'argent, la vieillesse, les démêlés de Catherine avec Deneuve : une icône parle.

Téchiné, Ruiz, Carax : cette trilogie fort contrastée ne surprendra que ceux qui, amnésiques ou distraits, s'arrêtent en lisière d'une carrière foisonnante où curiosité et esprit d'aventure semblent avoir été les folles du logis. Il fallait être un peu frappée pour, à vingt ans à peine, jouer dans une comédie musicale dont les méchantes fées prévoyaient qu'elle serait un fiasco. Ce fut "Les parapluies de Cherbourg" de Demy. Il fallait être un rien secouée pour, en 65-66, s'adonner aux perversions d'un jeune loup polonais et aux frasques d'un vieil espagnol surréaliste. Ce furent "Répulsion" de Polanski et "Belle de jour" de Bunuel. Il fallait être baraquée pour ne pas rater son entrée dans le cabinet d'un des plus fameux Barbe-Bleue français. Ce fut Truffaut pour "La sirène du Mississipi" et "Le dernier métro". il fallait être Deneuve, enfin, pour devenir la star de superproductions comme "Indochine" de Régis Wargnier, et, en même temps, la partenaire quasi underground des plus beaux Téchiné, (d'"Hôtel des Amériques" aux "Voleurs"), ou l'actrice tellurique du "Couvent" de Manoel de Oliveira. Comme toute bonne chose un tant soit peu vivante, c'est à la fois très simple et très compliqué. Si Deneuve était une forêt, ce serait la jungle.

Devant la liste de vos soixante-six films, quelle est votre réaction ?
Ça me fait toujours un choc, comme si je lisais une notule du "Who's Who". Oui, c'est un état des lieux qui me concerne, mais presque d'une manière clinique. Comme si on me disait que j'ai une température moyenne de 37°. Bien sûr, comme tout le monde. Les titres, les noms des réalisateurs, c'est déjà plus concret. Il y a eu des films forts et d'autres faibles, et même certains que j'aimerais supprimer. Mais je suis fataliste : on ne peut pas faire du cinéma pendant trente ans et ne faire que de grands films, sans se tromper. Je me demande même si ce droit à l'erreur n'est pas nécessaire. Cela dit, je ne me retourne jamais sur mes films. C'est très rare que je les aie vus ou revus. Mais je conserve les scénarios. Et puis, j'ai déjà assez de boulot à faire avec moi-même pour m'intéresser à mon image par-dessus le marché. En plus, ça doit rendre paranoïaque.

Pourtant, ces derniers temps, vous n'avez pas eu peur de vous lancer...
Ce n'est pas une question de courage. Je veux autant me surprendre que surprendre les autres. Cela dit, il ne faut pas charrier : Oliveira, Ruiz ou Téchiné, comme risque, il y a pire. Avec Téchiné, c'est très spécial, il y a entre lui et moi une confidentialité et une honnêteté rares. Je peux même dire que je préfère me tromper avec lui plutôt qu'avoir raison avec d'autres, car je sais que ses éventuelles erreurs ne me feront jamais de mal.

Vous avez souffert de l'échec de votre carrière américaine ?
Souffert, non, ce serait exagéré. Mais quand on part à Hollywood avec tout ce que cela comporte de rêve et de mythologie, pour tourner avec des cinéastes fameux comme Robert AIdrich, évidemment, on aurait envie que ça marche. Mais en même temps, c'est en Europe que je me sens au mieux de moi-même. Je n'aurais pas refusé de devenir une actrice américaine, mais je crois que j'aurais beaucoup dégusté, humainement.

Comment composez-vous avec toutes les tournures de vous-même ?
Eh bien justement, je ne compose pas, au contraire, je dissocie. Être actrice, faire des photos, de la publicité, avoir une vie de famille, une vie amoureuse, des amitiés, ou répondre à vos questions, ce sont des morceaux de moi dont l'addition ne forme pas forcément un tout ou une intimité. Le tout, c'est autre chose : des plages de secret, des instants de repos ou de vide.

Les clichés sur vous sont innombrables. Par exemple, "la Reine des Glaces"...
C'est une très ancienne image, qui date de l'époque de "Belle de jour" , "le feu sous la glace" et tous ces machins-là. Ça ne me choque pas, à partir du moment où on ne pose pas la question pour la trente-millionième fois.

Et la citation de Depardieu : "Deneuve est l'homme que j'aurais aimé être" ?
Dans sa bouche, je trouve ça flatteur, puisque c'est un acteur très féminin. C'est vrai, j'ai un côté un peu masculin dans ma manière d'empoigner les responsabilités. Cela dit, je ne suis pas certaine de vouloir être la femme qu'il est. Un peu trop ronde, quand même !

Autre cliché : "une femme française".
Alors ça, je le sens moins. Pour moi, une femme, ça vous a tout de suite des allures d'installation, façon mère ou épouse, un air de XVIème arrondissement. Je dirais plutôt "une fille française", quelque chose de plus républicain, de plus insouciant. Je suis beaucoup plus Belleville qu'on ne croit. Je peux à ma façon être subversive. M'entêter, être furieusement contre. Ne pas céder, persévérer, c'est du travail. C'est tellement plus facile d'être bien gentille, arrangeante, de ne pas envoyer de lettres d'insultes. Comme je regrette qu'on ne se batte plus en duel ! Je suis pour que les gens mesurent leurs propos.

Vieillir, qu'est-ce que ça vous dit ?
Ça, c'est la merde ! Je ne peux pas ne pas y penser, puisque j'exerce un métier physique. J'espère que j'arriverai à le gérer au mieux, et surtout que je ne ferai jamais la connerie de croire que je peux avoir l'air de ce qu'on me dit que je suis, alors que je ne le suis plus. J'espère m'aimer assez pour me supporter vieillissante. J'espère avoir toujours une longueur d'avance, un avantage de lucidité sur ce que je lirai dans les yeux des autres. J'ai bon espoir, puisque cette lucidité, je l'ai toujours eue, en tout cas concernant le physique. C'est difficile de s'imaginer vieille, et heureusement d'ailleurs. Je n'ai jamais été tacticienne, alors j'essaie de rêver un peu, mais pas au point de me raconter trop d'histoires. Et puis vous savez, le cinéma ne m'a jamais empêché de vivre.

De vivre ?
Oui, vivre, tout simplement. Je suis quelqu'un qui vit extrêmement normalement. Je marche dans la rue, je vais au cinéma, dans les librairies, au restaurant. Ce n'est pas tant moi qui me suis habituée à être vue que les gens qui, à force, s'accoutument à moins me regarder. En plus, je parle très facilement. Le seul privilège, c'est que généralement on s'occupe bien de moi, un peu mieux, un peu plus vite.

L'argent ?
Je ne dépense pas, je flambe, je claque ! Tout mon argent et même celui que je n'ai pas, c'est bien ça le problème. C'est un plaisir tellement irréaliste et farfelu. Je n'ai pas peur de ne pas avoir d'argent sinon, depuis le temps, je serais immensément riche. Cela dit, je sais le prix des choses. Je suis capable de marchander. Et puis il n'y a pas besoin d'être riche pour être dépensier. Les radins, pour moi, c'est rédhibitoire, c'est le blocage total. Tant pis pour eux.

Vous avez conscience d'être une icône pour beaucoup de gays ?
Je le sais d'autant plus que je suis très plausible en lesbienne. J'aime tellement les femmes, je suis très affectueuse avec elles. Alors, oui, je suis plutôt flattée, c'est un phénomène de groupies, et puis voilà. Mais ça me gêne un peu : je me dis que dans la vie réelle, il y aurait un petit malentendu. C'est plus conflictuel avec les lesbiennes à cause de cette histoire que j'ai eue avec "Deneuve", un magazine lesbien de San Francisco qui a pris mon nom sans me le demander et qui s'appelle maintenant "Curve". De toute façon, je ne le leur aurais pas donné, puisqu'elles l'utilisaient dans un but commercial. Ce que je trouve très malhonnête, c'est d'avoir fait semblant de faire de ce vol un hommage, alors que derrière le magazine, il y avait le projet de toute une gamme de produits de beauté, du genre crèmes et bains moussants. "Baignez-vous dans Deneuve !" Faut le faire ! Moi, j'aurais horreur de me laver dans une autre. Leur riposte a consisté à dire : Comment ose-t-elle protester, elle qui a tourné plusieurs fois des rôles de lesbienne ! Eh bien, justement, c'est la preuve que je ne m'attaque pas aux lesbiennes ou aux homos, mais bel et bien à une malhonnêteté mercantile.

Et si vos enfants, Christian ou Chiara, vous annonçaient qu'ils sont homos ?
Alors là, je ne vais pas vous raconter de foutaises. Je serais très perturbée. Je suis une mère célibataire et, forcément, je me sentirais responsable. Mais jamais au point de me couper de mes enfants. C'est vers moi que je me retournerais. L'homosexualité est beaucoup plus admise aujourd'hui, même si ça ne l'est pas encore assez. Mais je n'arrive pas à trouver ça complètement normal. Je ne suis pas non plus sûre qu'il faille à tout prix que l'homosexualité devienne banale, moins mystérieuse. Peut-être que de ce point de vue, je suis assez conventionnelle. Je suis moraliste, mais question sexualité, je suis évidemment pour la liberté totale. Dans "Les voleurs", j'ai une scène d'homosexualité avec une femme. En fait, je me suis rendu compte que c'était surtout une scène d'amour. Je trouve ça plus excitant. Homme ou femme, c'est accessoire.

Dans "Ma saison préférée", Daniel Auteuil vous disait : "Tu t'agites, tu t'agites, mais ce qui est important, c'est donner un sens à sa vie".
Je m'en souviens parfaitement. C'est le croquis exact de ce que je suis.


Par : Gérard Lefort
Photos : André Rau


Film associé : Les voleurs



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