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"Quand on a joué un personnage qui
demande "une robe couleur de lune" on devient forcément
une icône idéale pour les gens qui ont l'habitude de
demander l'impossible" |
Dans "Les voleurs", elle incarne, impérieuse,
une prof de philo lyonnaise follement amoureuse d'une jeune fille. L'an
prochain la verra dans le double rôle du dernier Raoul Ruiz, et
on parle d'un tournage avec Leos Carax. La femme, le cinéma, l'argent,
la vieillesse, les démêlés de Catherine avec Deneuve
: une icône parle.
Téchiné, Ruiz, Carax
: cette trilogie fort contrastée ne surprendra que ceux qui, amnésiques
ou distraits, s'arrêtent en lisière d'une carrière
foisonnante où curiosité et esprit d'aventure semblent avoir
été les folles du logis. Il fallait être un peu frappée
pour, à vingt ans à peine, jouer dans une comédie
musicale dont les méchantes fées prévoyaient qu'elle
serait un fiasco. Ce fut "Les parapluies de Cherbourg" de Demy.
Il fallait être un rien secouée pour, en 65-66, s'adonner
aux perversions d'un jeune loup polonais et aux frasques d'un vieil espagnol
surréaliste. Ce furent "Répulsion" de Polanski
et "Belle de jour" de Bunuel. Il fallait être baraquée
pour ne pas rater son entrée dans le cabinet d'un des plus fameux
Barbe-Bleue français. Ce fut Truffaut pour "La sirène
du Mississipi" et "Le dernier métro". il fallait
être Deneuve, enfin, pour devenir la star de superproductions comme
"Indochine" de Régis Wargnier, et, en même temps,
la partenaire quasi underground des plus beaux Téchiné,
(d'"Hôtel des Amériques" aux "Voleurs"),
ou l'actrice tellurique du "Couvent" de Manoel de Oliveira.
Comme toute bonne chose un tant soit peu vivante, c'est à la fois
très simple et très compliqué. Si Deneuve était
une forêt, ce serait la jungle.
Devant la liste de vos soixante-six
films, quelle est votre réaction ?
Ça me fait toujours un choc, comme si je lisais une notule du "Who's
Who". Oui, c'est un état des lieux qui me concerne, mais presque
d'une manière clinique. Comme si on me disait que j'ai une température
moyenne de 37°. Bien sûr, comme tout le monde. Les titres, les
noms des réalisateurs, c'est déjà plus concret. Il
y a eu des films forts et d'autres faibles, et même certains que
j'aimerais supprimer. Mais je suis fataliste : on ne peut pas faire du
cinéma pendant trente ans et ne faire que de grands films, sans
se tromper. Je me demande même si ce droit à l'erreur n'est
pas nécessaire. Cela dit, je ne me retourne jamais sur mes films.
C'est très rare que je les aie vus ou revus. Mais je conserve les
scénarios. Et puis, j'ai déjà assez de boulot à
faire avec moi-même pour m'intéresser à mon image
par-dessus le marché. En plus, ça doit rendre paranoïaque.
Pourtant, ces derniers temps,
vous n'avez pas eu peur de vous lancer...
Ce n'est pas une question de courage. Je veux autant me surprendre que
surprendre les autres. Cela dit, il ne faut pas charrier : Oliveira, Ruiz
ou Téchiné, comme risque, il y a pire. Avec Téchiné,
c'est très spécial, il y a entre lui et moi une confidentialité
et une honnêteté rares. Je peux même dire que je préfère
me tromper avec lui plutôt qu'avoir raison avec d'autres, car je
sais que ses éventuelles erreurs ne me feront jamais de mal.
Vous avez souffert de l'échec
de votre carrière américaine ?
Souffert, non, ce serait exagéré. Mais quand on part à
Hollywood avec tout ce que cela comporte de rêve et de mythologie,
pour tourner avec des cinéastes fameux comme Robert AIdrich, évidemment,
on aurait envie que ça marche. Mais en même temps, c'est
en Europe que je me sens au mieux de moi-même. Je n'aurais pas refusé
de devenir une actrice américaine, mais je crois que j'aurais beaucoup
dégusté, humainement.
Comment composez-vous avec toutes
les tournures de vous-même ?
Eh bien justement, je ne compose pas, au contraire, je dissocie. Être
actrice, faire des photos, de la publicité, avoir une vie de famille,
une vie amoureuse, des amitiés, ou répondre à vos
questions, ce sont des morceaux de moi dont l'addition ne forme pas forcément
un tout ou une intimité. Le tout, c'est autre chose : des plages
de secret, des instants de repos ou de vide.
Les clichés sur vous
sont innombrables. Par exemple, "la Reine des Glaces"...
C'est une très ancienne image, qui date de l'époque de "Belle
de jour" , "le feu sous la glace" et tous ces machins-là.
Ça ne me choque pas, à partir du moment où on ne
pose pas la question pour la trente-millionième fois.
Et la citation de Depardieu
: "Deneuve est l'homme que j'aurais aimé être"
?
Dans sa bouche, je trouve ça flatteur, puisque c'est un acteur
très féminin. C'est vrai, j'ai un côté un peu
masculin dans ma manière d'empoigner les responsabilités.
Cela dit, je ne suis pas certaine de vouloir être la femme qu'il
est. Un peu trop ronde, quand même !
Autre cliché : "une
femme française".
Alors ça, je le sens moins. Pour moi, une femme, ça vous
a tout de suite des allures d'installation, façon mère ou
épouse, un air de XVIème arrondissement. Je dirais plutôt
"une fille française", quelque chose de plus républicain,
de plus insouciant. Je suis beaucoup plus Belleville qu'on ne croit. Je
peux à ma façon être subversive. M'entêter,
être furieusement contre. Ne pas céder, persévérer,
c'est du travail. C'est tellement plus facile d'être bien gentille,
arrangeante, de ne pas envoyer de lettres d'insultes. Comme je regrette
qu'on ne se batte plus en duel ! Je suis pour que les gens mesurent leurs
propos.
Vieillir, qu'est-ce que ça
vous dit ?
Ça, c'est la merde ! Je ne peux pas ne pas y penser, puisque j'exerce
un métier physique. J'espère que j'arriverai à le
gérer au mieux, et surtout que je ne ferai jamais la connerie de
croire que je peux avoir l'air de ce qu'on me dit que je suis, alors que
je ne le suis plus. J'espère m'aimer assez pour me supporter vieillissante.
J'espère avoir toujours une longueur d'avance, un avantage de lucidité
sur ce que je lirai dans les yeux des autres. J'ai bon espoir, puisque
cette lucidité, je l'ai toujours eue, en tout cas concernant le
physique. C'est difficile de s'imaginer vieille, et heureusement d'ailleurs.
Je n'ai jamais été tacticienne, alors j'essaie de rêver
un peu, mais pas au point de me raconter trop d'histoires. Et puis vous
savez, le cinéma ne m'a jamais empêché de vivre.
De vivre ?
Oui, vivre, tout simplement. Je suis quelqu'un qui vit extrêmement
normalement. Je marche dans la rue, je vais au cinéma, dans les
librairies, au restaurant. Ce n'est pas tant moi qui me suis habituée
à être vue que les gens qui, à force, s'accoutument
à moins me regarder. En plus, je parle très facilement.
Le seul privilège, c'est que généralement on s'occupe
bien de moi, un peu mieux, un peu plus vite.
L'argent ?
Je ne dépense pas, je flambe, je claque ! Tout mon argent et même
celui que je n'ai pas, c'est bien ça le problème. C'est
un plaisir tellement irréaliste et farfelu. Je n'ai pas peur de
ne pas avoir d'argent sinon, depuis le temps, je serais immensément
riche. Cela dit, je sais le prix des choses. Je suis capable de marchander.
Et puis il n'y a pas besoin d'être riche pour être dépensier.
Les radins, pour moi, c'est rédhibitoire, c'est le blocage total.
Tant pis pour eux.
Vous avez conscience d'être
une icône pour beaucoup de gays ?
Je le sais d'autant plus que je suis très plausible en lesbienne.
J'aime tellement les femmes, je suis très affectueuse avec elles.
Alors, oui, je suis plutôt flattée, c'est un phénomène
de groupies, et puis voilà. Mais ça me gêne un peu
: je me dis que dans la vie réelle, il y aurait un petit malentendu.
C'est plus conflictuel avec les lesbiennes à cause de cette histoire
que j'ai eue avec "Deneuve", un magazine lesbien de San Francisco
qui a pris mon nom sans me le demander et qui s'appelle maintenant "Curve".
De toute façon, je ne le leur aurais pas donné, puisqu'elles
l'utilisaient dans un but commercial. Ce que je trouve très malhonnête,
c'est d'avoir fait semblant de faire de ce vol un hommage, alors que derrière
le magazine, il y avait le projet de toute une gamme de produits de beauté,
du genre crèmes et bains moussants. "Baignez-vous dans Deneuve
!" Faut le faire ! Moi, j'aurais horreur de me laver dans une autre.
Leur riposte a consisté à dire : Comment ose-t-elle protester,
elle qui a tourné plusieurs fois des rôles de lesbienne !
Eh bien, justement, c'est la preuve que je ne m'attaque pas aux lesbiennes
ou aux homos, mais bel et bien à une malhonnêteté
mercantile.
Et si vos enfants, Christian
ou Chiara, vous annonçaient qu'ils sont homos ?
Alors là, je ne vais pas vous raconter de foutaises. Je serais
très perturbée. Je suis une mère célibataire
et, forcément, je me sentirais responsable. Mais jamais au point
de me couper de mes enfants. C'est vers moi que je me retournerais. L'homosexualité
est beaucoup plus admise aujourd'hui, même si ça ne l'est
pas encore assez. Mais je n'arrive pas à trouver ça complètement
normal. Je ne suis pas non plus sûre qu'il faille à tout
prix que l'homosexualité devienne banale, moins mystérieuse.
Peut-être que de ce point de vue, je suis assez conventionnelle.
Je suis moraliste, mais question sexualité, je suis évidemment
pour la liberté totale. Dans "Les voleurs", j'ai une
scène d'homosexualité avec une femme. En fait, je me suis
rendu compte que c'était surtout une scène d'amour. Je trouve
ça plus excitant. Homme ou femme, c'est accessoire.
Dans "Ma saison préférée",
Daniel Auteuil vous disait : "Tu t'agites, tu t'agites, mais ce qui
est important, c'est donner un sens à sa vie".
Je m'en souviens parfaitement. C'est le croquis
exact de ce que je suis.

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Par : Gérard Lefort
Photos : André Rau
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Film associé
: Les
voleurs



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