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La plus belle Catherine du monde

Froide, mystérieuse ? "C'est un malentendu". Entre la sortie le 8 mai de "La reine blanche" de Jean-Loup Hubert et son départ au Viêt-Nam pour le prochain Régis Wargnier, Catherine Deneuve s'est arrêtée à Deauville. Pour l'objectif de Lindbergh. Et jouer, avec le magnéto de Gaillac-Morgue, au jeu de la vérité.

Comment vous accommodez-vous de ce "paradoxe du comédien" qui est de se donner tout en conservant une part de mystère ?
II ne faut pas croire que l'acteur se donne à son public ! Il ne se donne qu'à lui-même. Les acteurs sont tellement narcissiques ! Quant au mystère, ça n'a rien à voir avec cette sorte de jeu où les gens se dévoilent, ou se cachent, à travers ce qu'ils veulent bien dire, ou laisser paraître. Le mystère se situe bien au-delà. Il est inné à la personnalité. Le mystère, c'est cette impression qu'il reste toujours une part insondable chez un être, même s'il se livre entièrement. Depuis l'enfance, j'ai toujours aimé le mystère. Je préfère, par exemple, ne pas rencontrer certains écrivains que j'admire, non pas par peur d'être déçue, mais parce qu'ils ne seront jamais assez proches de l'idée que je me fais d'eux à travers leurs œuvres. Finalement, je suis assez contente d'avoir eu pendant si longtemps cette image un peu fraîche, froide. Les gens ont gardé une certaine retenue vis-à-vis de moi. Comme je suis d'une nature plutôt réservée, ça m'arrangeait !

Un flash-back sur vos premiers films laisse supposer que vous avez pris un malin plaisir à brouiller les pistes. L'ingénue des "Parapluies de Cherbourg" vire à la schizo de "Répulsion", la maso de "Belle de jour" se métamorphose en princesse dans "Peau d'âne", puis en "Sirène du Mississippi"... Hasard ou volonté de ne pas vous laisser piéger dans l'emploi-type de la jeune fille romantique blonde et pure ?
Mes choix de personnages ont toujours correspondu à des désirs ou à des refus instinctifs. Je n'en découvre les raisons que bien plus tard. Quand, après les "Parapluies", j'ai tourné des rôles plus scabreux, dans "Répulsion" et surtout "Belle de jour", il y a eu une espèce de malentendu. Et là, on a commencé à parler de la comédienne "froide et mystérieuse", "le feu sous la glace", etc.

Autre curieux paradoxe, votre séduction doit beaucoup à votre image lisse et convenable, et pourtant...
Convenable? Ah oui, l'image de la Deneuve en St Laurent sur le papier glacé des magazines... (Rires).

Oui, et pourtant on vous admire tout autant en bourgeoise dévergondée, la Séverine aux impulsions masochistes qui se prostitue de 5 à 7, la "Belle de jour" ! Le film qui a le plus fait fantasmer vos admirateurs.
Ce film, tourné en 66, garde encore un impact incroyable sur le public. Les fantasmes touchent à l'interdit, à ce que l'on ne doit jamais réaliser. Les hommes et les femmes, toutes générations confondues, peuvent s'identifier à ceux évoqués dans le film. Pour l'homme, imaginer la femme qu'il aime se livrer à des situations proches de la prostitution, est un fantasme assez classique. Pour la femme, ce fantasme non vécu, entretient le réconfort d'une vie plus aventureuse que la banalité de son existence. Plus le temps passe, plus les gens me parlent de ce film. Une sorte de complicité, un lien secret s'est établi entre le spectateur et moi.

"Belle de jour" était le premier film de l'histoire du cinéma à traiter des fantasmes sexuels féminins. Savez-vous que Lacan disait à ses élèves : "Ce n'est pas la peine que je vous parle du masochisme féminin, voyez "Belle de jour", c'est un exemple parfait".
C'est vrai, on dit toujours que la femme doit être soumise. Que la femme aime être prise et que l'homme aime prendre. Mais je pense que les hommes sont aussi masochistes que les femmes. Il y a des hommes très féminins qui ont besoin d'être pris. Il y a un masochisme chez l'homme dans ses rapports physiques et sexuels.

La représentation de l'érotisme au cinéma a perdu un certain raffinement.
L'érotisme subtil filmé par Hitchcock, Kazan, Bergman, ou Buñuel a disparu. Le dernier film le plus érotique et le plus troublant que j'ai vu, c'est La Marquise d'O de Rohmer. Depuis, on a tout montré. L'érotisme ne pourra effectivement renaître qu'à travers des scènes d'obsession, de frustration, d'impossibilité. Plus jamais avec la nudité à outrance. Quand j'ai vu "37° 2 le matin", une merveilleuse histoire d'amour, j'ai été gênée par la scène d'ouverture, très physique, où l'on voit les deux héros faire l'amour. Je trouve ça très affiché. Je ne peux pas être émue par ce côté mécanique. Pour moi, la nudité ôte tout érotisme. La télévision est le grand démystificateur. Le petit écran avale les acteurs malgré eux. Comment être sensible à l'érotisme, au romantisme, quand les gens vous regardent chez eux en pantoufles, entre la cuisine et le salon ? Et ils peuvent vous insulter, vous zapper si la scène les emmerde ! Mais il ne faut pas désespérer. L'érotisme reviendra, la sensualité est tellement liée à la plupart de nos actes. En Europe, on est beaucoup plus coquet, frivole, le cinéma ressemble beaucoup plus à l'air du temps qu'en Amérique. On a eu, récemment, besoin de revoir sur les écrans des filles bien en chair, avec des hanches, des seins, un peu comme les pin-up italiennes des années 60. Juliette Binoche, Valérie Kaprisky, Sandrine Bonnaire, Béatrice Dalle sont apparues. J'ai été frappée par la rébellion de toute cette nouvelle génération de jeunes actrices contre l'exploitation de leur nudité. Elles l'ont très mal vécue. Elles refusent d'être des symboles sexuels. On en parlait avec Truffaut : il y a les actrices que l'on a vues nues et celles qu'on ne verra jamais nues. Il y a celles qui ont décidé de ne plus se dénuder, d'autres pour qui cela leur est complètement égal, comme Isabelle Huppert ; d'autres, comme Adjani, qui l'ont fait d'une façon tellement étrange qu'on imagine mal avoir déjà vu leur corps.

Que pensez-vous de l'évolution de votre image publique?
Je crois que je suis perçue comme quelqu'un de très droit et plutôt sympathique. Une femme, avec des enfants, qui vit sa vie sans faire de choses choquantes. Je n'ai jamais été dans des extrêmes, ce n'est pas ma nature. Mes fantasmes, je les ai vécus au cinéma ou dans ma vie privée, jamais dans ma vie publique. J'ai pris très jeune une position stricte vis-à-vis de tout ça, non pas pour entretenir un mystère, mais pour me protéger. Par instinct naturel. On ne voit pas de reportages chez moi avec mes enfants. Je me suis toujours présentée pour être regardée, mais je ne laissais pas entrer.

Vous n'avez jamais été victime de rumeurs "malsaines".
En me forgeant cette carapace de protection, je me suis mise un peu hors jeu. Mais on a pu suivre mon parcours, on peut me situer. J'ai participé à différentes actions sociales : Amnesty, le Manifeste pour l'avortement, etc. Adjani a peut-être été victime d'une rumeur parce que les gens ne la situent pas. Ils ressentent l'absence de sa présence physique. C'est un cas limite qui sera sans doute étudié un jour. Elle a personnifié une sorte de symbole de l'actrice que l'on aime et qui énerve, sur laquelle on pouvait tout mettre. Si Adjani était plus "populaire", si elle se montrait ailleurs qu'au cinéma, la rumeur se serait consumée immédiatement. Elle a choisi de tout contrôler, de tout imposer. A mon avis, elle doit en payer le prix fort.

Vous avez toujours refusé de faire du théâtre. Vous semblez d'une résistance à tout épreuve, pourtant on croit deviner une certaine anxiété...
J'ai peur de ne pas pouvoir supporter le regard de l'autre. Physiologiquement, je ne suis pas si solide que ça. J'ai peur de basculer, d'avoir le cœur qui bat, de m'évanouir. Je connais. Le manque de contrôle ne m'effraie pas, mais l'idée de me retrouver tellement fragilisée, de plonger dans un gouffre. Tout ça est lié à des choses très intimes, très très juvéniles. Des souvenirs cruels d'angoisse, d'abandon, de fuite. A une certaine façon d'être inconsolable d'une peine que j'ai toujours du mal à contenir. Je sais, encore aujourd'hui, qu'il y a des situations, des "états" physiques excessifs où je ne pourrai plus fonctionner. Je ne peux pas me permettre de me retrouver dans de tels états de choc. Et il y a aussi chez moi ce désir, ce souci constant d'harmonie, de perfection. Ma mère vous dirait que, petite fille, j'étais extrêmement soignée, méticuleuse.,Sans doute, déjà, pour me constituer une carapace. Puis, j'ai eu la chance de pouvoir cultiver le goût de l'harmonie à travers des rapports, des objets, une certaine qualité de vie. Décevoir est la chose la plus horrible. Avec ma nature gaie, mais mélancolique, je m'affronte constamment pour me prouver ce que je peux faire. Quand je n'arrive pas à assumer, je me déçois.

C'est étrange, mais par instant, en vous observant, je revois votre sœur Françoise Dorléac.
Ma mère me faisait récemment la même réflexion, peut-être parce que j'ai foncé mes cheveux.

Catherine et Françoise, les "deux sœurs jumelles", différentes et complémentaires, vous la mélancolique, elle plus fantasque.
Ma sœur était profondément angoissée , une grande nerveuse, totalement excentrique, très cyclothymique et extériorisée. Toujours prête à partir danser des nuits entières au Brésil ! Mais c'était une femme extrêmement fragile, très immature. C'était quand même une jeune femme qui vivait avec des animaux en peluche dans un grand appartement vide... Quand on vit avec une famille nombreuse, quatre filles sous le même toit, on est emboîté comme un puzzle. On est obligée de remplir la case qu'on vous laisse pour exister. La mienne s'est sûrement déterminée en fonction de ma sœur qui avait dix-huit mois de plus que moi. Après dix-huit ans de vie ensemble, il y a des mimétismes incroyables, de voix, de gestes. A partir du moment où elle n'était plus là, je me suis peut-être forcée à vivre des choses pour essayer, non de la remplacer, mais pour remplir le vide de sa présence cinématographique. Surtout pour mes parents, d'ailleurs. Oui, c'était une façon de continuer à la faire exister. Je suis frappée de voir comme elle existe encore de façon très vivante, très présente pour les gens. C'est vrai, parfois, je me pose la question par rapport à des choix de films. Sur le plan affectif, on ne peut jamais prendre la place de quelqu'un, mais on essaye d'empêcher les failles de s'agrandir. De toute façon, quand on perd quelqu'un, d'abord c'est un choc violent. Ou vous vous effondrez, vous sombrez, ou vous en sortez plus fort et, à ce moment-là, c'est une ouverture. Avec Françoise, on était extrêmement complémentaire et complice. Je vais vous dire, pendant des années, je n'ai pas pu en parler tellement je l'ai mal vécue. J'étais en tournage, obligée de continuer. J'ai fait une espèce de chute intérieure. Une implosion. J'ai tenu sur cette implosion pendant deux ans, en travaillant énormément, ce qui était évidemment un moyen pour avancer, mais désastreux sur le plan de mon équilibre psychologique. Après, la répercussion a été grave. Comme toutes les expériences violentes, ça m'a fait du bien parce que je m'en suis sortie, mais ça aurait pu être terrible. J'aurais pu ne pas en sortir. C'est quand même la première grande faille de ma vie, et j'étais jeune.

Gérard Depardieu nous confiait récemment : "Ce qui me touche quand je tourne avec Catherine, c'est que je vois ses failles. Ce n'est pas parce qu'elle reflète l'image d'une certaine beauté qu'à l'intérieur ce n'est pas déchiré, décousu".
Ah Gérard, je le connais depuis longtemps ! On ne se voit pas souvent en dehors des films, mais on a en commun des goûts profonds pour des choses violentes, des choses physiques. Pas des excès monstrueux. Mais, pouvoir partir, comme ça, se perdre. Souvent je prends ma voiture et je m'échappe. Seule. Comme lui. On a beaucoup tourné avec Gérard et souvent de nuit. La nuit on se parle. Moi aussi, j'en connais beaucoup sur Gérard ! (Rires). Mes failles, oui bien sûr, il les connaît. Les grands chagrins, les grandes déchirures...

Les peines de cœur ?
Oui, les seules grandes et vraies déchirures, ce sont les déchirures sentimentales. Et aussi les départs forcés, ceux qui m'ont quittée, abandonnée définitivement.

Vous avez le pardon facile ?
Je dirais, comme sur le dessin de Sempé, un petit monsieur avec un petit carnet dit : "Je pardonne à tous mes amis, mais j'ai la liste" (Rires). Je pardonne, mais je n'oublie pas ! Je suis très indulgente, mais très passionnée, très entière. Je suis surtout extrêmement fidèle à mes amis depuis plus de vingt ans. C'est sûrement aussi le secret de mon équilibre.

Les déceptions sentimentales vous ont-elles rendue plus dure, plus lucide ?
Non, depuis que je suis adolescente, je pense que le sentiment amoureux est ce qu'il y a de plus important dans la vie. L'amour, l'amitié m'ont rendue trop tôt inquiète, douloureuse.

Deneuve raconte Catherine


Par : Gaillac-Morgue
Photos : Peter Lindbergh


Film associé : La reine blanche



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