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Quoi qu'elle fasse, quoi qu'elle
dise, c'est bien, juste, intelligent. Il n'y a pas beaucoup de femmes
comme elle sur les écrans français, alors, forcément,
on va voir ses films, on se réjouit de la rencontrer et de vérifier
sa beauté préservée. Au programme de notre entretien
avec elle, son dernier film signé Téchiné et ses
idées sur la beauté.
On voit souvent son image dans
les magazines mais, pour autant, Catherine Deneuve accorde peu d'interviews.
Lorsqu'elle accepte, c'est donc un événement, et si on ne
l'a jamais rencontrée auparavant, "ce n'est pas sans une certaine
émotion"... Mais, bizarrement, plus l'actrice est une star,
moins les choses sont compliquées lors du rendez-vous. Ponctuelle
comme une reine, Catherine Deneuve reçoit dans sa roulotte, sur
le tournage du film de Raoul Ruiz. Mais pour l'heure, c'est celui de Téchiné,
"Les voleurs", dont il est convenu de parler avec elle.
Un sourire, un bonjour, voilà,
c'est parti. Elle s'installe, paisiblement, avec la sérénité
de quelqu'un qui sait pourquoi elle est là, sans mauvaise humeur
mais sans exubérance, et surtout avec courtoisie. Comme chaque
fois que l'on est en présence de quelqu'un de beau, on passe de
l'envie de la dévisager à celui de la laisser un peu tranquille
en fixant son bloc-notes. Viennent forcément à l'esprit
et dans le désordre certains de ses soixante-trois films, "Le
couvent ", "Belle de jour" ou "Peau d'âne",
"La sirène du Mississippi", "La chamade", "Les
demoiselles de Rochefort", "Le dernier métro"...
Il y a arrêt sur visages. Pourtant, c'est celui qui est en face
de vous que l'on préférera à tous les autres. Mais
elle doit être habituée, parle, met à l'aise. Sa voix,
voilà encore autre chose. Un timbre, mais aussi un débit
particulier. Régulière, avec clapotis et roulis, on pourrait
perdre pied. Alors, il y a ses rires, qui ne sont pas fous, mais francs.
Sans faux-semblants, elle se protège pour que l'on
ne s'intéresse qu'à sa vie professionnelle, et cela depuis
ses débuts. "Je ne ferme jamais les portes, dit-elle à
propos d'une éventuelle expérience au théâtre,
sauf chez moi". Au fur et à mesure de l'interview, on comprend
le plaisir qu'éprouvent ceux qui travaillent avec elle, et le privilège
de faire partie de ses amis. Catherine Deneuve est du signe du volcan.
Bleu tranquille, à l'extérieur.
Le 21 août, on vous retrouve
à l'affiche du nouveau Téchiné, "Les voleurs".
Est-il de ces metteurs en scène à qui vous dites toujours
oui ?
On peut dire ça, en effet. Je ne sais pas exactement pour quelles
raisons. C'est la même chose lorsqu'on demande à quelqu'un
pourquoi il est amoureux, c'est comme ça. André, c'est une
relation de travail, mais c'est aussi une relation d'amitié, quelqu'un
dont j'aime l'univers. Je sais de toute façon qu'il ne pourra jamais
m'entraîner dans une aventure qui me ferait du mal. A la limite,
on pourrait se tromper ensemble. Mais ce ne serait pas quelque chose de
négatif.
Comment peut-on être entraînée
dans une aventure qui fait du mal ?
On peut se tromper de personne, de film. On peut faire une chose qui se
révèle ratée. Il peut arriver que le courant ne passe
pas entre le metteur en scène et l'acteur.
Ça vous est arrivé
souvent ?
Non, j'ai eu beaucoup de chance. Et puis, tout est relatif dans les erreurs.
Il y a des choses considérées comme des erreurs par d'autres
qui ne le sont pas pour moi. Il y a aussi une question d'atomes crochus.
Si la sauce ne prenait pas,
iriez-vous jusqu'à quitter un tournage ?
Bien sûr que non. On discute, même si on n'est pas d'accord.
On peut avoir des froids, des troubles, mais on en parle. Moi, je n'aime
pas beaucoup les conflits.
Qui est Marie, le personnage
que vous interprétez dans "Les voleurs" ?
Celle qui a l'air la plus adulte dans le film et qui est sans doute la
plus fragile. Elle manque de cette agressivité naturelle qui permet
de survivre. Ce n'est pas un trait de caractère que nous avons
en commun elle et moi, mais c'est quelque chose que je comprends très
bien.
A un certain moment, Marie dit
: "Ce n'est pas facile de se mettre à la place des autres
; c'est déjà difficile de trouver sa place". Est-ce
que c'est cela que l'on demande à un acteur ?
Ce n'est pas une réflexion qui peut s'attribuer à l'acteur
car, en incarnant un personnage, on reste malgré tout soi-même.
Mais on joue parfois des personnages très extérieurs à
soi et qui permettent de se défouler, car les situations sont loin
de ce que l'on vivra jamais. Jouer un criminel ou un personnage de vampire,
comme dans "Les prédateurs", c'est amusant, on se laisse
un peu aller. Mais s'il s'agit d'interpréter un personnage d'aujourd'hui,
on essaie d'être cette personne, avec la sensibilité que
l'on porte en soi. Le metteur en scène est là pour nous
faire garder le cap ou le perdre.
Marie éprouve une passion
pour Juliette, jouée par Laurence Cote. Pourtant, Marie n'apparaît
pas réellement comme homosexuelle.
Parce que c'est tout simplement une relation amoureuse. En plus, Marie
ne revendique pas cette relation homosexuelle, elle ne veut pas l'étaler
au grand jour. C'est une histoire personnelle, privée, et assez
loin de l'idée que l'on peut se faire d'une relation homosexuelle,
où il y a quelque chose de plus déclaré, de plus
agressif dans la façon de la vivre et de l'exposer aux autres.
Et je me suis rendu compte que, finalement, on peut être amoureux
d'un homme ou d'une femme. C'est la même folie, le même amour,
la même tendresse, l'envie d'aller au bout, pour le plaisir de l'autre.
Ou si ce n'est le plaisir, en tout cas l'éventuel bonheur de l'autre.
Vous dites : "Je me suis
rendu compte..."
Oui, parce qu'avant de le jouer, j'appréhendais un peu ce rôle.
Et puis, au cours du tournage, au fur et à mesure que j'entrais
dans le film, je me suis rendu compte que c'était pareil. Marie
n'est pas une homosexuelle qui a des aventures, c'est une femme amoureuse.
Juliette n'est pas une aventure, mais la femme qu'elle aime. Il y a aussi
une relation maternelle. Comme souvent dans un couple homme-femme.
Dans ce film, vous retrouvez
Daniel Auteuil. Est-ce qu'on a encore des surprises quand on a déjà
tourné ensemble ? Du plaisir ?
II y a les deux. Des surprises certainement, et le plaisir de retrouver
une complicité, donc de gagner du temps sur plein de choses, parce
qu'on se connaît et qu'on sait comment on fonctionne. Il y des avantages
sur tout. Mais comme les personnages sont très différents
de ceux de "Ma saison préférée", nous avons
quand même été transportés dans autre chose.
Le ton entre nous est beaucoup plus dur, nous sommes rivaux. Il est attiré
par moi et à la fois nos rapports sont conflictuels. Juliette l'énerve,
et il doit l'envier.
Qu'est-ce qui vous fait craquer
chez un homme ?
A peu de choses près, je dirais que ce sont les mêmes choses
que chez une femme : le charme et l'intelligence. Et la gentillesse aussi,
la bonté. Evidemment, il ne faut pas qu'il soit monstrueusement
laid. Mais craquer, ça veut dire autre chose que la séduction
physique.
Juliette est très fière
de sa relation avec Marie, car elle l'admire beaucoup. Cela vous est-il
déjà arrivé de provoquer une admiration semblable
?
Les acteurs, en général, ont souvent ce qu'on appelle des
groupies, des gens qui les admirent et sont aveuglés par ce qu'ils
représentent. Qui ont vu tous leurs films, lisent toutes leurs
interviews. On sait très bien que c'est dangereux. Il y a toujours
une facette un peu inquiétante. Moi, j'ai toujours essayé,
quand cela s'est produit, de mettre un peu de réalité dans
tout cela, pour ramener les choses à des dimensions plus naturelles.
J'essaie de me protéger de ça.
Juliette est un personnage violent,
une boule de feu, comme vous dites. Ressemble-t-elle à Laurence
Cote ?
Non, c'est vraiment un rôle de composition. Laurence est une intellectuelle,
une cérébrale. C'est l'avantage des cérébrales
; elles peuvent jouer des rôles totalement instinctifs. Le contraire
n'est pas possible.
Vous êtes l'une ou l'autre
?
Je me sens un peu les deux, cérébrale et instinctive. C'est
peut-être l'expérience qui fait cela. Etre comédienne,
c'est s'ouvrir le plus possible, toucher à des personnages qui
sont loin de vous.
On aperçoit votre fille
Chiara dans le film !
Oui, mais c'est quelque chose de rapide, de très joyeux, presque
confidentiel. Elle voulait absolument être dans le film.
Vous tournez au moins un film
par an...
Oui, même quand j'étais enceinte, j'ai joué dans un
film de Melville. En gros, je tourne trois films en deux ans. Ça
se régule comme ça car il y a beaucoup de choses qui prennent
du temps avant et après les tournages. Pendant, c'est presque la
période privilégiée. Avant, II faut lire beaucoup
de scénarios, rencontrer des gens, et même si c'est écrit
pour vous, il y a des choses à bouger. Je choisis surtout en fonction
de mes envies de metteur en scène.
Et le théâtre ?
Peut-être qu'un jour, je dirai oui. Je ne sais pas. Ce n'est pas
sûr. Pour l'instant, c'est une envie qui n'est pas assez grande,
et un trac beaucoup plus grand que l'envie. Je ne me sens pas prête
à affronter cela.
La porte n'est pas fermée.
Bien sûr que non. Il n'y a que chez moi que je ferme les portes.
A chaque sortie de film, vous
vous occupez sérieusement de la promotion, comme il se doit.
Je ne sais pas si "il se doit". Je refuse beaucoup de choses.
Je fais ce que j'ai envie de faire. On n'attend pas les interviews avec
impatience. On sait bien qu'il faut que les films sortent et qu'il faut
en parler, mais on sait aussi que l'on va être amenée à
parler d'autre chose. Il y a toujours une demande pour rencontrer les
acteurs, une curiosité que je comprends, mais on n'a pas forcément
envie de participer à cela, de raconter des choses autour de ce
que l'on a fait. On se dit : "J'ai fait ce que je devais faire, maintenant,
allez juger par vous-mêmes".
Qu'est-ce qui a plu en premier
chez vous : la photogénie, un culot ou une timidité ?
Le culot, sûrement pas, parce que je suis quelqu'un de réservé.
A l'âge où j'ai commencé à faire du cinéma,
on m'a certainement choisie selon des critères de photogénie.
Mais après, ça ne suffit pas. Il faut autre chose et je
ne sais pas ce que c'est. Plus j'avance et plus c'est mystérieux.
C'est agréable d'être
presque panthéonisée comme vous l'êtes ?
C'est dangereux. Pas difficile à vivre mais à gérer,
pour garder l'impression d'être quand même quelqu'un de vivant.
Ce n'est pas dans ma vie que c'est dangereux. Je sais que c'est une image
de moi, pas la réalité. Mais à gérer comme
image, ce n'est pas évident. Il faut donner des coups de pied pour
faire savoir qu'on n'est pas forcément là où on croit.
Je me suis très protégée, je suis quelqu'un de secret,
de discret. Je n'aime pas parler de mes histoires. Je ne suis pas en demande
de reconnaissance médiatique. Je n'ai pas le goût de ça.
Catherine et la beauté
Comment vous maintenez-vous
en forme pour ce métier très physique ?
Je prends des cours de gymnastique avec un professeur formidable. Si ce
n'était pas elle, je ne suis pas sure que j'en ferais. Je n'aime
pas beaucoup le sport. Je suis très active pourtant. Quand je tourne,
je suis obligée de faire attention, car il faut être en forme
pour travailler. En dehors du tournage, j'abandonne cette rigueur et puis,
de temps en temps, il faut recommencer. La vie est un combat permanent
pour les femmes dans ce domaine. Les journaux ne sont remplis que de ça.
Un combat à mener absolument
?
Ça dépend jusqu'où on va. Si c'est au-delà
de ses forces et que l'on essaie d'obtenir des résultats qui ne
sont pas conformes à ses possibilités, c'est plus épuisant
et négatif qu'autre chose.
Faut-il absolument avoir l'air
jeune ?
Je ne sais pas, mais il faut lutter. Il faut lutter pour tout, pour ne
pas avoir sommeil, pour résister à l'envie de manger une
chose qui vous fera du mal, pour travailler. La vie est une suite de tentations,
d'enjeux, d'embûches. Il faut lutter pour faire les choses et pour
ne pas les faire.
Quand vous ne tournez pas, vous
êtes une femme de maison ?
Oui, beaucoup. J'aime vivre chez moi. Je m'occupe de ma famille et de
mes amis. J'aime le jardin et mes roses anciennes.
Qu'est devenu votre premier
parfum ?
Ce parfum, qui était américain, a été racheté
par un groupe français qui n'a pas su trop quoi en faire. Il l'a
donc laissé mourir. Je crois qu'il y avait eu trop d'erreurs initiales
et qu'ils n'arrivaient pas à gérer cela. C'est dommage,
c'est un parfum que j'aimais beaucoup. Ça a été une
vraie déception car je m'étais beaucoup intéressée
à cela, beaucoup investie pour le lancement aux Etats-Unis. Mais
je ne regrette pas, cela fut très intéressant. J'en sors
un nouveau, à la rentrée. Très différent du
précédent.
Vous avez une image de grande
professionnelle, quel que soit le domaine que vous abordez.
Non, je ne trouve pas, je suis passionnée
surtout. Je ne fais que les choses qui me plaisent. J'ai cette chance,
je suis très très gâtée. Il y a parfois des
choses qui me coûtent, c'est vrai, mais, dans l'ensemble, je veux
les faire bien. Quand je fais mon parfum, des photos, un film, c'est pareil.
Je veux que ce soit bien.

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