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Vous avez de la chance et moi aussi car j'ai le plaisir et l'honneur de recevoir dans ce studio Catherine Deneuve et c'est pas tous les jours. Bonjour.
Bonjour.

Pour "Huit femmes", c'est un film dont on parle beaucoup , je vais bien sur citer les huit femmes, je n'ai pas leurs noms sous les yeux j'ai juste leur visage donc Catherine Deneuve, qui est dans ce studio avec moi, Isabelle Huppert, Emmanuelle Béart, Fanny Ardant, Virginie Ledoyen, Danielle Darrieux, Ludivine Sagnier toute jeune actrice et Firmine Richard que vous avez vue dans "Romuald et Juliette" aux côtés de Daniel Auteuil, c'est elle la femme de ménage qui séduisait Daniel Auteuil dans "Romuald et Juliette"…
Et Ludivine Sagnier on l'a vue dans le film d'Ozon "Gouttes d'eau sur pierres brûlantes" .

Exactement, aux côtés de Bernard Giraudeau.
Oui.

Alors voilà, Ozon a fait ce pari, il avait envie de faire un film avec des femmes. Il pensait à "Women" de George Cukor et il a trouvé cette comédie policière. Peut-être que les gens de notre génération se souviennent de Robert Thomas qui faisait des comédies policières qui étaient un peu des comédies de boulevard…
Oui moi je l'ai connu, Robert Thomas.

Ah bon vous l'avez connu !
Oui, oui, je l'ai connu personnellement, oui c'était un auteur de comédie de boulevard. Il a été metteur en scène aussi, il a fait deux films, je crois qu'il a fait "Patate" avec Sylvie Vartan, il me semble bien, oui.

Et bien cette comédie policière, cela y fait penser. Pour donner l'ambiance du film, alors je le dis comme je le pense et parfois je ne le dis pas et cela veut dire que je trouve le film pas forcément génial, mais ce film est un délice, un petit joyau, allez vite le voir et revenez nous dire sur cette antenne ce que vous en avez pensé. Alors, le thème, je vais vous donner un peu l'ambiance.

(Catherine et Bruno rient)

Alors imaginez un cottage, de la neige comme ça, c'est peut-être dans les années 50 ou 60 et puis on sent un peu le décor carte postale, c'est voulu cela a un petit côté cosy. Puis une femme entre et on fait connaissance avec vous, Catherine Deneuve, et avec votre fille Virginie Ledoyen et puis petit à petit avec Augustine qui est votre sœur jouée par Isabelle Huppert qui le genre…
Il n'y a que des femmes, il y a un homme dans la maison mais on ne voit que des femmes.

Il y a la gouvernante Firmine Richard, et une Emmanuelle Béart qui joue une nouvelle domestique…
Un peu buñuelienne quand même (Catherine rit).

Un peu bizarre, un peu étrange, un peu pète-sec comme ça. Isabelle Huppert joue une sœur un peu coincée pour pas dire…
Vieille fille (rire).

Et là-dedans on attend que le mari, votre époux, se lève.
Oui.

Et puis, comme au théâtre, quand on ouvre la porte de sa chambre, il y a un poignard, un manche de corne planté dans le dos. Drame absolu. Et à partir de là, ces huit femmes sont coincées, c'est un huis-clos , comme "Les dix petits nègres" d'Agatha Christie.
Absolument, oui, oui.

Donc elles sont coincées, elles ne peuvent pas sortir, les fils du téléphone sont coupés, la neige bloque tout, et il va y avoir un règlement de compte, et il y a cette espèce de décalage entre cette ambiance assez jolie…
Ozon, il a voulu vraiment que ce soit un film comme dans les années 50, c'est vraiment situé dans les années Technicolor donc avec une photo vraiment très soignée, un certain genre de lumière, d'ailleurs c'est Jeanne Lapoirie qui a fait la lumière ; ils ont fait une recherche là-dessus, les verts sont très verts, les roses très roses, tout est très pimpant dans la lumière, très éclatant et le film est quand même très noir, parce que c'est vrai que la disparition de cet homme avec l'inconnue de savoir qui a tué cet homme, donc les soupçons sur les unes sur les autres et donc des découvertes, parce qu'on a tous des secrets dans les familles surtout pour l'équilibre des familles. On sait bien qu'on ne se dit pas tout, et là, à l'occasion de ce drame, c'est une espèce de, pas de jeu de la vérité, mais disons une espèce de révélation et de dévoilement de leur vie personnelle, et elles ont toutes quelque chose, elles ont toutes des secrets, elles avaient toutes quelque chose à cacher , oui.

Mais Catherine Deneuve , il y a une surenchère dans la révélation qui est drôle aussi.
Oui bien sûr.

Ce qui fait que l'on rit beaucoup.
Oui, parce que le film est quand même très décalé, ce n'est pas une reconstitution, c'est pas un film des années 50, c'est un film d'Ozon. Alors pour les spectateurs qui connaissent les films d'Ozon cela peut donner une idée du décalage, de l'humour, et du côté un peu noir comme ça mais très moderne du film. Pour ceux qui ne connaissent pas, oui c'est vrai, il faut quand même savoir que c'est quand même un film qui dit des choses très graves avec légèreté, quand c'est léger on repart très vite sur des choses graves et assez sombres. C'est quelqu'un qui joue beaucoup avec l'humour et la psychologie des personnages. Il joue beaucoup, il est très ludique, il est très doué, il faut dire que vraiment visuellement le film est très beau, il est très doué donc il sait très bien jusqu'où il peut aller trop loin, revenir, reprendre les choses. Quand il installe une chose un peu trouble, immédiatement il y a un truc qui fait rire ou qui grince. C'est un film qui est tout en dents de scie, en dentelle quoi !

D'ailleurs Catherine Deneuve vous avez parlé des décors, mais il y a aussi un travail incroyable sur les costumes, on va en parler…
Ah oui surtout…

Il y a un livre, je le dis au passage, aux éditions La Martinière, un très beau livre qui s'appelle "Huit femmes" et il montre toutes les références d'Ozon…
Oui toutes les références d'Ozon, et puis c'est un livre, moi je trouve, assez remarquable, je l'ai découvert il y a quelques jours, moi je n'avais vu que la maquette, moi je trouve que c'est un livre qu'il faut acheter après avoir vu le film, parce qu'on retrouve des choses, il y a quelque chose de plus jubilatoire, on voit tout le travail d'Ozon mais on retrouve des choses que l'on n'a peut-être pas eu le temps de voir dans le film et c'est quand même mieux de le regarder comme un album photos après le film, je trouve, et on s'aperçoit du travail incroyable qu'il a réussi à faire sur un film qui a été préparé non pas hâtivement mais quand même avec une limite de temps, parce qu'il y avait un emploi du temps assez difficile pour le casting, pour toutes les actrices, donc il a fait le pari de dire, je fais le film comme je commence, autrement c'était pas possible de nous réunir toutes dans le film. Il y a une préparation qui a été faite, pas d'une façon accélérée, mais très intense et c'est vrai que pour faire un film comme ça il faut un an entre la préparation des costumes, les décors, la réflexion sur la recherche de la lumière, des coiffures, tout, enfin bref, et il a fait ça en trois mois, moi je dois dire que j'ai été assez épatée.

Ce qui a frappé quand on a connu le casting, c'est que, c'est vrai, c'est rare de rassembler sur un même plateau autant de stars, c'est vrai, pourquoi ça ne se fait pas aussi souvent ? C'est un hasard ?
Je ne crois pas, on peut pas dire que cela coûte trop cher, je ne crois pas que ce soit seulement la raison. Je pense qu'il n'y a pas beaucoup de gens qui y pensent et pas beaucoup de sujets qui s'y prêtent non plus à avoir des actrices dans des rôles à peu près équivalents au point de vue importance de personnalités, de présence dans le film. C'est vrai d'ailleurs que c'est assez difficile en France d'avoir des acteurs importants qui acceptent des participations et même les participations on a beaucoup de mal à faire ça, alors que les américains, les anglo-saxons le font facilement. Je crois que c'était l'envie d'Ozon de raconter une histoire de femmes, mais bon, avec l'univers féminin, la cruauté, le côté très coquet et parfois superficiel et en même temps très sentimental, ce que ne sont pas toutes les femmes mais beaucoup de femmes à beaucoup de moments quand même. Il avait envie de raconter un univers féminin .

Alors vous Catherine Deneuve : Garrel, Carax, Aghion… On n'est pas du tout étonné que vous tourniez avec un jeune metteur en scène parce que contrairement à ce que l'on pourrait penser maintenant avec du recul, on ne dit pas "Ah oui mais Catherine Deneuve : Buñuel, Ferreri... etc.", sauf qu'ils étaient jeunes à l'époque donc c'était déjà prendre des risques.
Oui , enfin c'étaient des cinéastes reconnus…

Polanski…
Polanski, oui c'est vrai, c'était son premier film en Angleterre. Il avait fait seulement "Le couteau dans l'eau" qui n'était pas sorti en France. Mais même Jean-Paul Rappeneau, quand j'ai tourné avec lui, c'était son premier long métrage. Ce ne sont pas des risques, vous savez, pour les acteurs ou actrices de tourner avec des jeunes metteurs en scène, quand le scénario est très très bien, moi c'est une chose qui m'a toujours intéressée parce que je suis curieuse et que j'aime avoir l'impression, en tous les cas, de faire des choses différentes, donc j'aime bien m'engager avec des gens si je trouve qu'ils ont un univers, une personnalité, parce que c'est vrai quand un metteur en scène n'a rien fait on prend quand même le risque de se rendre compte que peut-être qu'il écrivait très bien le scénario, que c'était un bon scénario mais pas forcement un cinéaste, donc ça c'est le seul risque que l'on prend, mais je trouve que c'est un risque limité pour les acteurs.

Oui, vous dites ça Catherine Deneuve, mais moi je me souviens d'une discussion, dans Paris Match avec Natacha Régnier, sur ce métier, et finalement vous en veniez à dire sans le vouloir, si parce que c'est vous, que vous aviez fait une carrière relativement expérimentale. Il y a une espèce de contraste assez étonnant entre votre image, pardonnez-moi de ce mot là entre guillemets, et le fait que vous n'avez jamais spécialement marché dans les sentiers battus, été vers quelque chose de commercial, vous auriez pu ?
Oui , enfin vous savez, on a quand même toujours le souhait, quand on fait un film, qu'il marche. Alors tous les films ne sont pas destinés à faire un million d'entrées, ce qui compte c'est que le film trouve son public comme les films de Garrel qui ne vont pas sortir dans 150 salles et avoir la distribution d' "Astérix", c'est évident, mais ce qui compte, je trouve, c'est la rencontre d'un film avec son public. C'est vrai pour un acteur, il faut faire attention, on ne peut pas se permettre de faire que des films pour des publics limités. Mais moi, je ne cherche pas à doser les choses, je cherche franchement égoïstement à répondre à mon envie.

Mais votre envie, votre tempérament, ne vous pousse pas à aller vers des choses plus…, vous pourriez être dans des productions comme "Astérix" ?
Eh bien , je serais très contente parce que moi j'adore les comédies et puis j'adore Alain Chabat donc je serais très contente. Mais ce qu'il y a c'est que mon envie en tous cas me pousse vers des choses différentes et tourner une comédie extrêmement débridée avec Chabat cela ne me gênerait pas du tout, non je n'ai pas d'a priori, je n'ai pas de refus a priori. Je crois que le seul truc que je n'aimerais pas faire vraiment au cinéma, c'est les films gores …

Les films d'horreur !
Ah si, les films d'horreur j'aime bien, j'ai tourné des films de vampires et puis même "Les prédateurs" avec Tony Scott. Non, ce que j'appelle les films gores : les films où on découpe à la scie, c'est vraiment le seul genre de film où je ne pourrais pas participer parce que je ne pourrais pas aller les voir.

C'est ce que vous ne supportez pas au cinéma !
Oui, oui.

On se retrouve dans un instant, on va écouter un extrait de "Toi jamais" et on va justement parler de la chanson dans le film.

(extrait de la chanson "Toi jamais" interprétée par Catherine Deneuve)

"Toi jamais" chanté par Catherine Deneuve dans le film de François Ozon, "Huit femmes", où Danielle Darrieux chante aussi dans le film, Fanny Ardant, tout le monde chante.
Ah mais elle a toujours chanté, Danielle Darrieux !

Oui , elle a toujours chanté, absolument, c'est vrai je le sais. Emmanuelle Béart qui a un très joli brin de voix et toutes les actrices qui sont dans "Huit femmes" chantent. Alors, moi j'aimerais bien savoir comment vous lisez un scénario, est-ce qu'il y a des choses qui auraient pu vous faire hésiter dans le film d'Ozon ?
Heureusement, les choses se passent souvent dans un certain ordre c'est-à-dire que, enfin en tous cas pour moi, je cherche toujours à voir la personne qui a écrit le scénario ou le scénariste, enfin en général je travaille souvent avec des auteurs donc c'est plutôt des metteurs en scène qui écrivent les scénarios. J'avais rencontré Ozon avant de lire le scénario, de même que j'avais vu "Sitcom" et "Gouttes d'eau sur pierres brûlantes" avant de lire le scénario. Je pense que si j'avais lu le scénario de François Ozon sans rien connaître de lui, de ses films, et ne pas l'avoir rencontré, je crois que j'aurais eu une lecture différente et j'aurais peut-être trouvé ça un peu désuet, comme le personnage que je joue est quand même assez caricatural, surtout au début parce que tous les personnages bougent et évoluent énormément quand même dans le film entre le début et la fin. Le personnage que je joue particulièrement est un personnage comme ça, une espèce de bourgeoise de province pas très sympathique, bon, mais j'avais envie de jouer le jeu si vous voulez avec lui, parce que je savais ce qu'il voulait faire, mais si j'avais lu le scénario sans l'avoir rencontré, je ne suis pas sure que j'aurais été aussi emballée.

Et les côtés osés du film ?
C'est-à-dire ?

Par exemple vous embrassez sur la bouche Fanny Ardant !
Oh ! C'est pas la première fois ! Pas que j'embrasse Fanny Ardant ! (Catherine et Bruno rient), que j'embrasse des femmes au cinéma : j'ai embrassé Susan Sarandon dans "Les prédateurs", j'ai embrassé, dans un film policier où je jouais un détective, Anne Parrillaud, puis j'ai aussi embrassé Laurence Cote dans "Les voleurs"…

Ah oui , c'est plus qu'embrassé vous étiez dans une baignoire ensemble… !
Oui, oui !

Mais alors comment préparer une scène comme ça ? Est-ce que vous étiez intimidée l'une et l'autre ?
On était un peu tendues, oui, parce que l'on redoute toujours …! Les scènes d'amour de toute façon, vous savez au cinéma, contrairement il y a des gens qui pensent en disant "ah qu'est ce que ça doit être agréable, quand même ils ont de la chance", mais non, c'est toujours une chose que l'on redoute souvent, les acteurs comme les actrices. Parce que ce contact physique d'un seul coup fait que l'on n'est plus dans un rôle, il y a une espèce de sensation. Et oui forcément, parce qu'à partir du moment où on se touche et en plus il y vraiment une sensation, il y forcément une autre forme d'émotion, si vous voulez, que l'on ne peut pas contrôler vous voyez. Quand il y a un contact physique c'est autre chose, donc on redoute toujours un peu ça parce qu'on sait qu'on n'est plus vraiment complètement acteur et quand même temps il y a quand même une scène à jouer, surtout dans "Huit femmes", c'est une scène de bagarre qui se termine en scène de baiser, puis après sur une note de comédie mais c'est vrai que l'on redoutait un petit peu. Mais comme moi je n'étais pas trop inquiète parce que je savais que François Ozon voulait filmer ça d'une façon à la fois très étonnante dans le sens qu'il voulait que cela soit une chose surprenante à laquelle on ne s'attend pas, et qu'en même temps, il le filmerait pour que ce soit beau à regarder, parce que les scènes de baiser sont aussi des choses très difficiles, j'en avais parlé avec lui, parce que souvent dans les films c'est très vilain les baisers. Je trouve que les plus beaux baisers de cinéma sont dans les films d'Hitchcock et de Kazan aussi, où les baisers sont magnifiques, mais je trouve que c'est difficile les scènes de baisers vraiment dont on se souvient. Il y a un côté physique qui n'est pas toujours très séduisant ou en tous cas très photogénique. Enfin bref, je sais que je n'avais pas d'inquiétudes avec lui, donc il a tourné les scènes dans la longueur, sous quelques angles et puis on n'a pas tourné ça non plus très très très longtemps, non comme il est à la caméra en plus, et c'est lui qui fait le cadrage, ça change.

Est-ce que cela change beaucoup pour une actrice ?
Ah bien sûr.

Qu'est ce que ça change ?
Ca change que quand il dit ça va et qu'on ne recommence pas, on sait qu'il a vu, lui-même vraiment directement ce qu'il avait, et en plus une chose que moi j'apprécie beaucoup : il n'a pas de combo, vous savez, c'est-à-dire il n'a pas cette référence comme beaucoup de cinéastes aujourd'hui, d'avoir le petit écran télé avec l'image qui revient où finalement la moitié du temps, il regarde plus sur l'image télé que ce qui ce passe sur le plateau. Et lui, François Ozon n'utilise pas du tout le combo, donc c'est son œil, son œil absolu,c'est lui avec tout le côté risqué qu'il y a, c'est-à-dire : c'est subjectif l'œil humain. Mais, moi comme je trouve que les films c'est fait pour être vu par l'œil humain, je trouve que ce côté subjectif est indispensable pour le film, moi je trouve ça très important.

Alors "Huit femmes", on parlait de ce bel album aux éditions La Martinière, c'est un film très maîtrisé, on sent qu'Ozon c'est un vrai metteur en scène, il est...
Ah oui… !

Il est courageux, il est bosseur…
On peut dire que c'est un vrai cinéaste, oui.

Alors comment, il vous a tenu toutes, parce que forcément on se dit huit femmes, bon…, on n'est pas misogyne mais…
Non, mais vous savez, quand il y a un enjeu pareil, c'est-à-dire qu'on avait huit semaines pour faire le film, dans un décor unique en studio, huit actrices, il y avait une volonté commune, disons c'est comme partir faire une expédition ensemble si vous voulez, on savait, non pas que ça nous demanderait un effort, mais on était tacitement liés les uns aux autres sachant que ce serait difficile.

Il fallait que cela aille jusqu'au bout de toute façon !
C'est surtout qu'on était solidaires du fait qu'il ne pourrait pas nous accorder à chacune… Moi je sais que parfois c'est un peu déroutant, il ne peut pas vous accorder toute l'attention et le temps…

Il a dit "moi tant que je les ai vues l'une après l'autre, cela allait, mais quand je me suis retrouvé sur le plateau, il ne fallait pas que j'ai l'air d'en préférer une à l'autre, donc du coup... !"
Moi ça m'irritait un peu quand il disait ça, parce que je me disais, mais enfin qu'est ce qu'il croit, on n'est pas là pour avoir des relations, ni prendre le thé ensemble, mais en même temps je comprends qu'il ait dit ça… ! Mais c'est surtout qu'il fallait gérer un groupe, alors gérer un groupe c'est pas comme gérer une personne vous voyez. On était très souvent, quand même , toutes ensembles sur le plateau, on tournait les scènes quand il fallait, parce qu'il a beaucoup découpé le film, donc il fallait refaire très souvent, très longtemps les scènes, des fois on est resté presque une journée sur une scène, il fallait avoir des plans sur tout le monde, donc cela demande beaucoup de temps, mais cela il l'a fait très très bien, c'est vrai que c'était une forme de discipline différente avec des contraintes par moments, mais on était toutes conscientes de ça et puis on avait toutes envie de travailler ensemble et comme le plateau était très grand, d'ailleurs, très souvent on était ensemble sur le plateau.

C'est vrai, vous discutiez ?
Bien, oui, on descendait prendre le thé, ou comme on était toutes des fumeuses, on fumait d'un côté quand il tournait de l'autre côté parce qu'on avait cette possibilité, c'était suffisamment grand pour qu'on puisse être là et avoir des apartés, oui, oui.

Mais qu'est ce que l'on fait de l'ego ? C'est normal qu'il y ait une rivalité entre les actrices.
Ah, non franchement, il n'y en a pas eu, moi je dis pas ça, je suis pas du tout amateur de contes de fées. Je crois que là l'enjeu, c'était que, comme on est toutes dans des rôles un peu décalés, quand même de composition, le seul enjeu c'était quand même le film. Alors l'ego je ne sais pas où il se place, mais il se place ailleurs que là si vous voulez. Il existe forcément, mais d'abord je crois que... oui…, je crois que lui il s'est placé ailleurs, il s'est débrouillé comme il a pu, mais disons qu'il n'a pas été géré personnellement, l'ego, je crois que je ne sais pas où il s'est mis ! Personnellement j'ai pas beaucoup de problèmes d'ego, je ne peux pas parler pour les autres mais je n'ai pas l'impression qu'elles en aient eu beaucoup. Mais là c'était l'enjeu du film, c'était le pari du film et tout le monde avait quand même envie de réussir ce pari.

C'est marrant, Catherine Deneuve, que vous disiez que vous n'avez pas de problème d'ego…
Je ne crois pas !

Parce que toujours dans cette interview…
Enfin pas trop ! (Catherine rit)

Non mais je vous crois, mais vous disiez à Natacha Régnier que…
Non, mais je peux me tromper aussi !

Vous disiez à Natacha Régnier qu'avec du recul les gens disent "Ah ! quelle carrière etc." mais qu'il y a des moments chaotiques, il y a des moments où cela ne marche pas, où l'on ne rencontre pas le succès commercial et puis il y a des moments où on l'on doute. Vous avez douté ?
Bien sûr !

Beaucoup ? Est-ce que vous doutez toujours aujourd'hui sur un plateau ? Est-ce que cela vous arrive ?
Ah bien oui, bien sûr heureusement ! Enfin douter ! Les acteurs doutent moins que les metteurs en scène si vous voulez, parce que les metteurs en scène ont à gérer à la fois … ! Mais on me dit toujours : "Mais pourquoi vous ne réalisez pas un film ?" , mais je dis "Attendez, c'est pas parce que j'ai fait quatre-vingts films que… !", techniquement oui je pourrais... ! , oui techniquement je saurais si vous voulez, mais je me fais une plus grande idée d'un film. Il y a beaucoup de choses à gérer, donc je pense que le doute pour un metteur en scène malheureusement ça reviendrait trop souvent, moi je serais épuisée avant la fin du tournage. Et le doute, oui, il y a forcément des doutes quand on fait des choses qui sont décalées comme dans le film d'Ozon, forcément que l'on a des doutes mais quand on a confiance dans le metteur en scène, ce qui était le cas, on ose quand même plus facilement vous voyez.

Est-ce que l'on ne pourrait pas dire, après tout ce que me disent vos consœurs et confrères acteurs et actrices qui viennent sur le plateau "Plus on avance dans le métier plus on doute mais en même temps, plus on a de plaisir".
Oui, je ne sais pas si…

Parce que l'on est plus inconscient quand on est jeune, on tout le plaisir qu'on peut avoir en faisant ce métier ?
Non, mais je trouve qu'on n'a pas tout le plaisir qu'on peut avoir parce qu'il y a justement des choses dont on ne peut pas profiter ne les connaissant pas donc moi je pense pas que j'ai eu… Oui bien sûr qu'il y a des films par exemples "Les parapluies" où j'ai eu un plaisir extraordinaire mais c'était un film entièrement en musique donc c'était un film enchanté, c'était particulier, mais je trouve que quand on ignore les choses justement on ne peut pas en profiter.

Oui , voilà , aujourd'hui vous en profitez plus ?
Aujourd'hui, je profite plus de certaines choses, en même temps je souffre plus aussi, parce que s'il y a des problèmes, je le vois plus vite donc je suis moins protégée. On a d'autres formes de doute parce que quand on avance, que l'on continue à travailler, que l'on est quand même connue et reconnue et qu'on attend quelque chose de vous, il y a l'idée de ne pas être toujours aussi à la hauteur de la journée, c'est même pas la situation, mais disons il y a des jours où l'on est plus ou moins en forme, vous voyez, et on sait que quand on est moins en forme et bien ce jour là malgré tout, il n'y a rien à faire, on va quand même imprimer la pellicule, il y aura quand même la scène, donc c'est un peu frustrant quand même !

Europe 1

Février 2002


Par : Bruno Cras


Film associé : Huit femmes



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