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Vous avez de la chance et moi
aussi car j'ai le plaisir et l'honneur de recevoir dans ce studio Catherine
Deneuve et c'est pas tous les jours. Bonjour.
Bonjour.
Pour "Huit femmes",
c'est un film dont on parle beaucoup , je vais bien sur citer les huit
femmes, je n'ai pas leurs noms sous les yeux j'ai juste leur visage donc
Catherine Deneuve, qui est dans ce studio avec moi, Isabelle Huppert,
Emmanuelle Béart, Fanny Ardant, Virginie Ledoyen, Danielle Darrieux,
Ludivine Sagnier toute jeune actrice et Firmine Richard que vous avez
vue dans "Romuald et Juliette" aux côtés de Daniel
Auteuil, c'est elle la femme de ménage qui séduisait Daniel
Auteuil dans "Romuald et Juliette"
Et Ludivine Sagnier on l'a vue dans le film d'Ozon "Gouttes d'eau
sur pierres brûlantes" .
Exactement, aux côtés
de Bernard Giraudeau.
Oui.
Alors voilà, Ozon a fait
ce pari, il avait envie de faire un film avec des femmes. Il pensait à
"Women" de George Cukor et il a trouvé cette comédie
policière. Peut-être que les gens de notre génération
se souviennent de Robert Thomas qui faisait des comédies policières
qui étaient un peu des comédies de boulevard
Oui moi je l'ai connu, Robert Thomas.
Ah bon vous l'avez connu !
Oui, oui, je l'ai connu personnellement, oui c'était un auteur
de comédie de boulevard. Il a été metteur en scène
aussi, il a fait deux films, je crois qu'il a fait "Patate"
avec Sylvie Vartan, il me semble bien, oui.
Et bien cette comédie policière, cela
y fait penser. Pour donner l'ambiance du film, alors je le dis comme je
le pense et parfois je ne le dis pas et cela veut dire que je trouve le
film pas forcément génial, mais ce film est un délice,
un petit joyau, allez vite le voir et revenez nous dire sur cette antenne
ce que vous en avez pensé. Alors, le thème, je vais vous
donner un peu l'ambiance.
(Catherine et Bruno rient)
Alors imaginez un cottage, de
la neige comme ça, c'est peut-être dans les années
50 ou 60 et puis on sent un peu le décor carte postale, c'est voulu
cela a un petit côté cosy. Puis une femme entre et on fait
connaissance avec vous, Catherine Deneuve, et avec votre fille Virginie
Ledoyen et puis petit à petit avec Augustine qui est votre sur
jouée par Isabelle Huppert qui le genre
Il n'y a que des femmes, il y a un homme dans la maison mais on ne voit
que des femmes.
Il y a la gouvernante Firmine
Richard, et une Emmanuelle Béart qui joue une nouvelle domestique
Un peu buñuelienne quand même (Catherine rit).
Un peu bizarre, un peu étrange,
un peu pète-sec comme ça. Isabelle Huppert joue une sur
un peu coincée pour pas dire
Vieille fille (rire).
Et là-dedans on attend
que le mari, votre époux, se lève.
Oui.
Et puis, comme au théâtre,
quand on ouvre la porte de sa chambre, il y a un poignard, un manche de
corne planté dans le dos. Drame absolu. Et à partir de là,
ces huit femmes sont coincées, c'est un huis-clos , comme "Les
dix petits nègres" d'Agatha Christie.
Absolument, oui, oui.
Donc elles sont coincées,
elles ne peuvent pas sortir, les fils du téléphone sont
coupés, la neige bloque tout, et il va y avoir un règlement
de compte, et il y a cette espèce de décalage entre cette
ambiance assez jolie
Ozon, il a voulu vraiment que ce soit un film comme dans les années
50, c'est vraiment situé dans les années Technicolor donc
avec une photo vraiment très soignée, un certain genre de
lumière, d'ailleurs c'est Jeanne Lapoirie qui a fait la lumière
; ils ont fait une recherche là-dessus, les verts sont très
verts, les roses très roses, tout est très pimpant dans
la lumière, très éclatant et le film est quand même
très noir, parce que c'est vrai que la disparition de cet homme
avec l'inconnue de savoir qui a tué cet homme, donc les soupçons
sur les unes sur les autres et donc des découvertes, parce qu'on
a tous des secrets dans les familles surtout pour l'équilibre des
familles. On sait bien qu'on ne se dit pas tout, et là, à
l'occasion de ce drame, c'est une espèce de, pas de jeu de la vérité,
mais disons une espèce de révélation et de dévoilement
de leur vie personnelle, et elles ont toutes quelque chose, elles ont
toutes des secrets, elles avaient toutes quelque chose à cacher
, oui.
Mais Catherine Deneuve , il
y a une surenchère dans la révélation qui est drôle
aussi.
Oui bien sûr.
Ce qui fait que l'on rit beaucoup.
Oui, parce que le film est quand même très décalé,
ce n'est pas une reconstitution, c'est pas un film des années 50,
c'est un film d'Ozon. Alors pour les spectateurs qui connaissent les films
d'Ozon cela peut donner une idée du décalage, de l'humour,
et du côté un peu noir comme ça mais très moderne
du film. Pour ceux qui ne connaissent pas, oui c'est vrai, il faut quand
même savoir que c'est quand même un film qui dit des choses
très graves avec légèreté, quand c'est léger
on repart très vite sur des choses graves et assez sombres. C'est
quelqu'un qui joue beaucoup avec l'humour et la psychologie des personnages.
Il joue beaucoup, il est très ludique, il est très doué,
il faut dire que vraiment visuellement le film est très beau, il
est très doué donc il sait très bien jusqu'où
il peut aller trop loin, revenir, reprendre les choses. Quand il installe
une chose un peu trouble, immédiatement il y a un truc qui fait
rire ou qui grince. C'est un film qui est tout en dents de scie, en dentelle
quoi !
D'ailleurs Catherine Deneuve
vous avez parlé des décors, mais il y a aussi un travail
incroyable sur les costumes, on va en parler
Ah oui surtout
Il y a un livre, je le dis au
passage, aux éditions La Martinière, un très beau
livre qui s'appelle "Huit femmes" et il montre toutes les références
d'Ozon
Oui toutes les références d'Ozon, et puis c'est un livre,
moi je trouve, assez remarquable, je l'ai découvert il y a quelques
jours, moi je n'avais vu que la maquette, moi je trouve que c'est un livre
qu'il faut acheter après avoir vu le film, parce qu'on retrouve
des choses, il y a quelque chose de plus jubilatoire, on voit tout le
travail d'Ozon mais on retrouve des choses que l'on n'a peut-être
pas eu le temps de voir dans le film et c'est quand même mieux de
le regarder comme un album photos après le film, je trouve, et
on s'aperçoit du travail incroyable qu'il a réussi à
faire sur un film qui a été préparé non pas
hâtivement mais quand même avec une limite de temps, parce
qu'il y avait un emploi du temps assez difficile pour le casting, pour
toutes les actrices, donc il a fait le pari de dire, je fais le film comme
je commence, autrement c'était pas possible de nous réunir
toutes dans le film. Il y a une préparation qui a été
faite, pas d'une façon accélérée, mais très
intense et c'est vrai que pour faire un film comme ça il faut un
an entre la préparation des costumes, les décors, la réflexion
sur la recherche de la lumière, des coiffures, tout, enfin bref,
et il a fait ça en trois mois, moi je dois dire que j'ai été
assez épatée.
Ce qui a frappé quand
on a connu le casting, c'est que, c'est vrai, c'est rare de rassembler
sur un même plateau autant de stars, c'est vrai, pourquoi ça
ne se fait pas aussi souvent ? C'est un hasard ?
Je ne crois pas, on peut pas dire que cela coûte trop cher, je ne
crois pas que ce soit seulement la raison. Je pense qu'il n'y a pas beaucoup
de gens qui y pensent et pas beaucoup de sujets qui s'y prêtent
non plus à avoir des actrices dans des rôles à peu
près équivalents au point de vue importance de personnalités,
de présence dans le film. C'est vrai d'ailleurs que c'est assez
difficile en France d'avoir des acteurs importants qui acceptent des participations
et même les participations on a beaucoup de mal à faire ça,
alors que les américains, les anglo-saxons le font facilement.
Je crois que c'était l'envie d'Ozon de raconter une histoire de
femmes, mais bon, avec l'univers féminin, la cruauté, le
côté très coquet et parfois superficiel et en même
temps très sentimental, ce que ne sont pas toutes les femmes mais
beaucoup de femmes à beaucoup de moments quand même. Il avait
envie de raconter un univers féminin .
Alors vous Catherine Deneuve
: Garrel, Carax, Aghion
On n'est pas du tout étonné
que vous tourniez avec un jeune metteur en scène parce que contrairement
à ce que l'on pourrait penser maintenant avec du recul, on ne dit
pas "Ah oui mais Catherine Deneuve : Buñuel, Ferreri... etc.",
sauf qu'ils étaient jeunes à l'époque donc c'était
déjà prendre des risques.
Oui , enfin c'étaient des cinéastes reconnus
Polanski
Polanski, oui c'est vrai, c'était son premier film en Angleterre.
Il avait fait seulement "Le couteau dans l'eau" qui n'était
pas sorti en France. Mais même Jean-Paul Rappeneau, quand j'ai tourné
avec lui, c'était son premier long métrage. Ce ne sont pas
des risques, vous savez, pour les acteurs ou actrices de tourner avec
des jeunes metteurs en scène, quand le scénario est très
très bien, moi c'est une chose qui m'a toujours intéressée
parce que je suis curieuse et que j'aime avoir l'impression, en tous les
cas, de faire des choses différentes, donc j'aime bien m'engager
avec des gens si je trouve qu'ils ont un univers, une personnalité,
parce que c'est vrai quand un metteur en scène n'a rien fait on
prend quand même le risque de se rendre compte que peut-être
qu'il écrivait très bien le scénario, que c'était
un bon scénario mais pas forcement un cinéaste, donc ça
c'est le seul risque que l'on prend, mais je trouve que c'est un risque
limité pour les acteurs.
Oui, vous dites ça Catherine
Deneuve, mais moi je me souviens d'une discussion, dans Paris Match avec
Natacha Régnier, sur ce métier, et finalement vous en veniez
à dire sans le vouloir, si parce que c'est vous, que vous aviez
fait une carrière relativement expérimentale. Il y a une
espèce de contraste assez étonnant entre votre image, pardonnez-moi
de ce mot là entre guillemets, et le fait que vous n'avez jamais
spécialement marché dans les sentiers battus, été
vers quelque chose de commercial, vous auriez pu ?
Oui , enfin vous savez, on a quand même toujours le souhait, quand
on fait un film, qu'il marche. Alors tous les films ne sont pas destinés
à faire un million d'entrées, ce qui compte c'est que le
film trouve son public comme les films de Garrel qui ne vont pas sortir
dans 150 salles et avoir la distribution d' "Astérix",
c'est évident, mais ce qui compte, je trouve, c'est la rencontre
d'un film avec son public. C'est vrai pour un acteur, il faut faire attention,
on ne peut pas se permettre de faire que des films pour des publics limités.
Mais moi, je ne cherche pas à doser les choses, je cherche franchement
égoïstement à répondre à mon envie.
Mais votre envie, votre tempérament,
ne vous pousse pas à aller vers des choses plus
, vous pourriez
être dans des productions comme "Astérix" ?
Eh bien , je serais très contente parce que moi j'adore les comédies
et puis j'adore Alain Chabat donc je serais très contente. Mais
ce qu'il y a c'est que mon envie en tous cas me pousse vers des choses
différentes et tourner une comédie extrêmement débridée
avec Chabat cela ne me gênerait pas du tout, non je n'ai pas d'a
priori, je n'ai pas de refus a priori. Je crois que le seul truc que je
n'aimerais pas faire vraiment au cinéma, c'est les films gores
Les films d'horreur !
Ah si, les films d'horreur j'aime bien, j'ai tourné des films de
vampires et puis même "Les prédateurs" avec Tony
Scott. Non, ce que j'appelle les films gores : les films où on
découpe à la scie, c'est vraiment le seul genre de film
où je ne pourrais pas participer parce que je ne pourrais pas aller
les voir.
C'est ce que vous ne supportez
pas au cinéma !
Oui, oui.
On se retrouve dans un instant, on va écouter
un extrait de "Toi jamais" et on va justement parler de la chanson
dans le film.
(extrait de la chanson "Toi jamais" interprétée
par Catherine Deneuve)
"Toi jamais" chanté par Catherine
Deneuve dans le film de François Ozon, "Huit femmes",
où Danielle Darrieux chante aussi dans le film, Fanny Ardant, tout
le monde chante.
Ah mais elle a toujours chanté, Danielle Darrieux !
Oui , elle a toujours chanté,
absolument, c'est vrai je le sais. Emmanuelle Béart qui a un très
joli brin de voix et toutes les actrices qui sont dans "Huit femmes"
chantent. Alors, moi j'aimerais bien savoir comment vous lisez un scénario,
est-ce qu'il y a des choses qui auraient pu vous faire hésiter
dans le film d'Ozon ?
Heureusement, les choses se passent souvent dans un certain ordre c'est-à-dire
que, enfin en tous cas pour moi, je cherche toujours à voir la
personne qui a écrit le scénario ou le scénariste,
enfin en général je travaille souvent avec des auteurs donc
c'est plutôt des metteurs en scène qui écrivent les
scénarios. J'avais rencontré Ozon avant de lire le scénario,
de même que j'avais vu "Sitcom" et "Gouttes d'eau
sur pierres brûlantes" avant de lire le scénario. Je
pense que si j'avais lu le scénario de François Ozon sans
rien connaître de lui, de ses films, et ne pas l'avoir rencontré,
je crois que j'aurais eu une lecture différente et j'aurais peut-être
trouvé ça un peu désuet, comme le personnage que
je joue est quand même assez caricatural, surtout au début
parce que tous les personnages bougent et évoluent énormément
quand même dans le film entre le début et la fin. Le personnage
que je joue particulièrement est un personnage comme ça,
une espèce de bourgeoise de province pas très sympathique,
bon, mais j'avais envie de jouer le jeu si vous voulez avec lui, parce
que je savais ce qu'il voulait faire, mais si j'avais lu le scénario
sans l'avoir rencontré, je ne suis pas sure que j'aurais été
aussi emballée.
Et les côtés osés
du film ?
C'est-à-dire ?
Par exemple vous embrassez sur
la bouche Fanny Ardant !
Oh ! C'est pas la première fois ! Pas que j'embrasse Fanny Ardant
! (Catherine et Bruno rient), que j'embrasse des femmes au cinéma
: j'ai embrassé Susan Sarandon dans "Les prédateurs",
j'ai embrassé, dans un film policier où je jouais un détective,
Anne Parrillaud, puis j'ai aussi embrassé Laurence Cote dans "Les
voleurs"
Ah oui , c'est plus qu'embrassé
vous étiez dans une baignoire ensemble
!
Oui, oui !
Mais alors comment préparer
une scène comme ça ? Est-ce que vous étiez intimidée
l'une et l'autre ?
On était un peu tendues, oui, parce que l'on redoute toujours
!
Les scènes d'amour de toute façon, vous savez au cinéma,
contrairement il y a des gens qui pensent en disant "ah qu'est ce
que ça doit être agréable, quand même ils ont
de la chance", mais non, c'est toujours une chose que l'on redoute
souvent, les acteurs comme les actrices. Parce que ce contact physique
d'un seul coup fait que l'on n'est plus dans un rôle, il y a une
espèce de sensation. Et oui forcément, parce qu'à
partir du moment où on se touche et en plus il y vraiment une sensation,
il y forcément une autre forme d'émotion, si vous voulez,
que l'on ne peut pas contrôler vous voyez. Quand il y a un contact
physique c'est autre chose, donc on redoute toujours un peu ça
parce qu'on sait qu'on n'est plus vraiment complètement acteur
et quand même temps il y a quand même une scène à
jouer, surtout dans "Huit femmes", c'est une scène de
bagarre qui se termine en scène de baiser, puis après sur
une note de comédie mais c'est vrai que l'on redoutait un petit
peu. Mais comme moi je n'étais pas trop inquiète parce que
je savais que François Ozon voulait filmer ça d'une façon
à la fois très étonnante dans le sens qu'il voulait
que cela soit une chose surprenante à laquelle on ne s'attend pas,
et qu'en même temps, il le filmerait pour que ce soit beau à
regarder, parce que les scènes de baiser sont aussi des choses
très difficiles, j'en avais parlé avec lui, parce que souvent
dans les films c'est très vilain les baisers. Je trouve que les
plus beaux baisers de cinéma sont dans les films d'Hitchcock et
de Kazan aussi, où les baisers sont magnifiques, mais je trouve
que c'est difficile les scènes de baisers vraiment dont on se souvient.
Il y a un côté physique qui n'est pas toujours très
séduisant ou en tous cas très photogénique. Enfin
bref, je sais que je n'avais pas d'inquiétudes avec lui, donc il
a tourné les scènes dans la longueur, sous quelques angles
et puis on n'a pas tourné ça non plus très très
très longtemps, non comme il est à la caméra en plus,
et c'est lui qui fait le cadrage, ça change.
Est-ce que cela change beaucoup
pour une actrice ?
Ah bien sûr.
Qu'est ce que ça change
?
Ca change que quand il dit ça va et qu'on ne recommence pas, on
sait qu'il a vu, lui-même vraiment directement ce qu'il avait, et
en plus une chose que moi j'apprécie beaucoup : il n'a pas de combo,
vous savez, c'est-à-dire il n'a pas cette référence
comme beaucoup de cinéastes aujourd'hui, d'avoir le petit écran
télé avec l'image qui revient où finalement la moitié
du temps, il regarde plus sur l'image télé que ce qui ce
passe sur le plateau. Et lui, François Ozon n'utilise pas du tout
le combo, donc c'est son il, son il absolu,c'est lui avec
tout le côté risqué qu'il y a, c'est-à-dire
: c'est subjectif l'il humain. Mais, moi comme je trouve que les
films c'est fait pour être vu par l'il humain, je trouve que
ce côté subjectif est indispensable pour le film, moi je
trouve ça très important.
Alors "Huit femmes",
on parlait de ce bel album aux éditions La Martinière, c'est
un film très maîtrisé, on sent qu'Ozon c'est un vrai
metteur en scène, il est...
Ah oui
!
Il est courageux, il est bosseur
On peut dire que c'est un vrai cinéaste, oui.
Alors comment, il vous a tenu
toutes, parce que forcément on se dit huit femmes, bon
, on
n'est pas misogyne mais
Non, mais vous savez, quand il y a un enjeu pareil, c'est-à-dire
qu'on avait huit semaines pour faire le film, dans un décor unique
en studio, huit actrices, il y avait une volonté commune, disons
c'est comme partir faire une expédition ensemble si vous voulez,
on savait, non pas que ça nous demanderait un effort, mais on était
tacitement liés les uns aux autres sachant que ce serait difficile.
Il fallait que cela aille jusqu'au
bout de toute façon !
C'est surtout qu'on était solidaires du fait qu'il ne pourrait
pas nous accorder à chacune
Moi je sais que parfois c'est
un peu déroutant, il ne peut pas vous accorder toute l'attention
et le temps
Il a dit "moi tant que
je les ai vues l'une après l'autre, cela allait, mais quand je
me suis retrouvé sur le plateau, il ne fallait pas que j'ai l'air
d'en préférer une à l'autre, donc du coup... !"
Moi ça m'irritait un peu quand il disait ça, parce que je
me disais, mais enfin qu'est ce qu'il croit, on n'est pas là pour
avoir des relations, ni prendre le thé ensemble, mais en même
temps je comprends qu'il ait dit ça
! Mais c'est surtout
qu'il fallait gérer un groupe, alors gérer un groupe c'est
pas comme gérer une personne vous voyez. On était très
souvent, quand même , toutes ensembles sur le plateau, on tournait
les scènes quand il fallait, parce qu'il a beaucoup découpé
le film, donc il fallait refaire très souvent, très longtemps
les scènes, des fois on est resté presque une journée
sur une scène, il fallait avoir des plans sur tout le monde, donc
cela demande beaucoup de temps, mais cela il l'a fait très très
bien, c'est vrai que c'était une forme de discipline différente
avec des contraintes par moments, mais on était toutes conscientes
de ça et puis on avait toutes envie de travailler ensemble et comme
le plateau était très grand, d'ailleurs, très souvent
on était ensemble sur le plateau.
C'est vrai, vous discutiez ?
Bien, oui, on descendait prendre le thé, ou comme on était
toutes des fumeuses, on fumait d'un côté quand il tournait
de l'autre côté parce qu'on avait cette possibilité,
c'était suffisamment grand pour qu'on puisse être là
et avoir des apartés, oui, oui.
Mais qu'est ce que l'on fait
de l'ego ? C'est normal qu'il y ait une rivalité entre les actrices.
Ah, non franchement, il n'y en a pas eu, moi je dis pas ça, je
suis pas du tout amateur de contes de fées. Je crois que là
l'enjeu, c'était que, comme on est toutes dans des rôles
un peu décalés, quand même de composition, le seul
enjeu c'était quand même le film. Alors l'ego je ne sais
pas où il se place, mais il se place ailleurs que là si
vous voulez. Il existe forcément, mais d'abord je crois que...
oui
, je crois que lui il s'est placé ailleurs, il s'est débrouillé
comme il a pu, mais disons qu'il n'a pas été géré
personnellement, l'ego, je crois que je ne sais pas où il s'est
mis ! Personnellement j'ai pas beaucoup de problèmes d'ego, je
ne peux pas parler pour les autres mais je n'ai pas l'impression qu'elles
en aient eu beaucoup. Mais là c'était l'enjeu du film, c'était
le pari du film et tout le monde avait quand même envie de réussir
ce pari.
C'est marrant, Catherine Deneuve,
que vous disiez que vous n'avez pas de problème d'ego
Je ne crois pas !
Parce que toujours dans cette
interview
Enfin pas trop ! (Catherine rit)
Non mais je vous crois, mais
vous disiez à Natacha Régnier que
Non, mais je peux me tromper aussi !
Vous disiez à Natacha
Régnier qu'avec du recul les gens disent "Ah ! quelle carrière
etc." mais qu'il y a des moments chaotiques, il y a des moments où
cela ne marche pas, où l'on ne rencontre pas le succès commercial
et puis il y a des moments où on l'on doute. Vous avez douté
?
Bien sûr !
Beaucoup ? Est-ce que vous doutez
toujours aujourd'hui sur un plateau ? Est-ce que cela vous arrive ?
Ah bien oui, bien sûr heureusement ! Enfin douter ! Les acteurs
doutent moins que les metteurs en scène si vous voulez, parce que
les metteurs en scène ont à gérer à la fois
! Mais on me dit toujours : "Mais pourquoi vous ne réalisez
pas un film ?" , mais je dis "Attendez, c'est pas parce que
j'ai fait quatre-vingts films que
!", techniquement oui je
pourrais... ! , oui techniquement je saurais si vous voulez, mais je me
fais une plus grande idée d'un film. Il y a beaucoup de choses
à gérer, donc je pense que le doute pour un metteur en scène
malheureusement ça reviendrait trop souvent, moi je serais épuisée
avant la fin du tournage. Et le doute, oui, il y a forcément des
doutes quand on fait des choses qui sont décalées comme
dans le film d'Ozon, forcément que l'on a des doutes mais quand
on a confiance dans le metteur en scène, ce qui était le
cas, on ose quand même plus facilement vous voyez.
Est-ce que l'on ne pourrait
pas dire, après tout ce que me disent vos consurs et confrères
acteurs et actrices qui viennent sur le plateau "Plus on avance dans
le métier plus on doute mais en même temps, plus on a de
plaisir".
Oui, je ne sais pas si
Parce que l'on est plus inconscient
quand on est jeune, on tout le plaisir qu'on peut avoir en faisant ce
métier ?
Non, mais je trouve qu'on n'a pas tout le plaisir qu'on peut avoir parce
qu'il y a justement des choses dont on ne peut pas profiter ne les connaissant
pas donc moi je pense pas que j'ai eu
Oui bien sûr qu'il y
a des films par exemples "Les parapluies" où j'ai eu
un plaisir extraordinaire mais c'était un film entièrement
en musique donc c'était un film enchanté, c'était
particulier, mais je trouve que quand on ignore les choses justement on
ne peut pas en profiter.
Oui , voilà , aujourd'hui
vous en profitez plus ?
Aujourd'hui, je profite plus de certaines choses,
en même temps je souffre plus aussi, parce que s'il y a des problèmes,
je le vois plus vite donc je suis moins protégée. On a d'autres
formes de doute parce que quand on avance, que l'on continue à
travailler, que l'on est quand même connue et reconnue et qu'on
attend quelque chose de vous, il y a l'idée de ne pas être
toujours aussi à la hauteur de la journée, c'est même
pas la situation, mais disons il y a des jours où l'on est plus
ou moins en forme, vous voyez, et on sait que quand on est moins en forme
et bien ce jour là malgré tout, il n'y a rien à faire,
on va quand même imprimer la pellicule, il y aura quand même
la scène, donc c'est un peu frustrant quand même !

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Europe 1
Février 2002
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Par : Bruno Cras
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Film associé
: Huit
femmes
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