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Catherine Deneuve, bonsoir. On est ravis de vous accueillir avec Bruno Cras, qui est tout timide à l'idée de vous recevoir dans ce studio…
Ah bon ?

…pour "Au plus près du paradis", donc, dernier film de Tonie Marshall. Bruno, vous allez avoir le lourd privilège de nous expliquer de quoi il retourne.
Ca, ça m'intéresse. Moi j'aime bien quand on raconte à ma place l'histoire du film, c'est bien !

C'est une femme, on ne sait pas d'ailleurs si elle est malheureuse ou heureuse, mais ce qu'on voit tout de suite, c'est que c'est une femme de tête parce qu'elle croise un homme qui a été dans sa vie, eh, bon, qui se pend à ses basques, qui est un petit peu pot de colle, qui est joué par Bernard Lecoq, qu'elle remet à sa place. Elle, elle écrit sur l'art, on va le découvrir au fil du film, mais cet homme lui lance un peu comme par défi le prénom d'un homme qu'elle a connu, une vingtaine d'années, une trentaine d'années auparavant, et on sent, si vous voulez, que cette femme n'a jamais fait son deuil de la rencontre avec cet homme. On sent qu'elle l'a dans la tête et d'ailleurs on va la voir au cinéma voir le fameux film de McCarey "Elle et lui" où un homme et une femme se rencontrent en haut de l'Empire State Building, et on sent que cette femme… et quand je dis qu'elle a les pieds sur terre, c'est parce qu'elle a sa vie, elle est critique d'art, on la voit dans ses relations pas forcément faciles avec sa fille, on la voit dans ses relations avec un autre de ses ex, on sent que ça a été une femme courtisée, mais elle, pendant toute cette partie, cette première partie du film, elle sent des traces, une présence, le fantôme de ce Philippe qui est là, qui a l'air de rôder autour d'elle, et elle y croit. Elle a envie de croire à quelque chose qui aurait dû être, qui n'a pas été, mais qui pourrait être encore. Voilà comment je résumerais la chose. Et elle va partir aux Etats-Unis parce qu'elle est critique d'art et qu'elle doit récupérer deux photos de toiles d'un peintre dont elle s'occupe, et là elle va rencontrer un homme qui n'est pas le fameux Philippe, mais un homme, et je m'arrête là.

Voilà. Un homme qui s'appelle Matt, qui est photographe, Catherine, et qui est joué par William Hurt.
Oui.

Il y a deux parties dans le film : il y a cette partie française…
Oui.

…où on la voit assez triste, assez bouleversée, assez fragile…

Moi je ne trouve pas qu'elle est triste, non. Je ne trouve pas qu'elle soit triste. Je trouve que c'est une femme un peu mélancolique, mais je ne pense pas que ce soit une femme triste, je pense que c'est une femme très… qui a un univers très particulier, qui doit vivre seule depuis longtemps, qui fait des choses qui l'intéressent mais tout ça dans une certaine solitude, et je crois que la rencontre un peu violente avec Lecoq dont vous parliez tout à l'heure… c'est pas qu'elle l'a dans la tête, cet homme, mais je crois qu'il lui ramène comme ça brutalement, à travers la gifle incroyable qu'il lui donne, il lui ramène l'idée, le souvenir de cet homme, et ce souvenir repart dans sa vie comme "puisque ça a été, ça pourrait être", mais c'est pas… je crois qu'elle ne vivait pas avec cet homme là, je crois seulement qu'il l'a réveillée d'un seul coup, en lui rappelant ça et en disant qu'il est peut-être à Paris, et d'un seul coup, ça ranime, disons, une histoire ancienne, elle se réveille de cette histoire et a envie de retrouver, oui, cet homme, et puis il y a des indices, on ne sait jamais si ce sont des indices vrais, des choses qu'elle voit ou qu'elle imagine, ou il y a quand même des indices où on a l'impression, quand même, de la présence de cet homme derrière elle, on est toujours dans le… on ne sait jamais si c'est vraiment sa réalité à elle ou si c'est la vérité.

C'est le charme du film, c'est qu'on peut y voir, d'ailleurs, de mon point de vue, plusieurs histoires, mais je voudrais raconter quelques éléments du tournage qui ne sont pas du tout innocents parce qu'il s'est tourné, quand même, pour la partie américaine, à une période qui effectivement a compliqué les choses, c'est le 11 septembre de l'année précédente.
Oui, oui oui. Il s'est tourné… en effet, je suis partie au Canada - puisqu'il a fallu, donc, aller au Canada, on ne pouvait pas aller aux Etats-Unis - le 14 septembre, ce qui a été une chose assez difficile pour tout le monde, une partie de l'équipe était déjà là-bas, d'ailleurs, avant le 11 septembre, et puis tout ce qui devait se tourner à New York a dû être tourné là-bas, au Canada, et notamment l'Empire State Building - puisqu'on avait l'autorisation de tourner dans l'Empire State Building - qu'il a fallu reconstruire en studio.

Mais donc, ça a peut-être… enfin, avec l'idée, quand même, que ça pouvait, la deuxième partie, être une sorte de comédie romantique entre elle et lui…
Oui, absolument !

…ça a un peu durci le propos, ou en tout cas rendu…
Ca ne l'a pas durci, mais ça l'a… disons que ça a rendu les choses plus dures pour nous. Moi je trouve que quand on voit le film, si on ne le sait pas, c'est pas… mais disons que la partie qui devait être plus comédie, finalement a une autre résonance parce que je crois que nous, qui l'avons fait, et puis les gens qui voient le film, le savent, donc il n'y a rien à faire, on porte ce regard sur ça. William Hurt était lui-même… est arrivé, était quand même très sonné, il habitait, quand même, à New York, très près de l'endroit où il y a eu cet attentat, il connaissait des gens qui étaient là, donc il y a eu des moments très difficiles au tournage, c'est vrai que ça été vraiment… et puis une comédie, reprendre une comédie, comme ça, dans un contexte pareil… c'est vrai que on doit toujours finir une chose qu'on a faite, un film on ne peut pas le laisser en plan… mais ça a été plus difficile qu'on ne l'imaginait, oui, surtout pour Tonie, mais pour William, beaucoup.

Alors, Bruno, et après, j'aurai un flot de questions.
C'est une question, justement, à propos de William Hurt, lui il a forcément été profondément marqué, parce qu'il est acteur, américain, il doit jouer une comédie, dans ces cas là il faut prendre un peu les choses en main, comment ça se passe ?
C'est-à-dire que lui-même a essayé de se prendre en main souvent, parce qu'il avait des moments quand même assez difficiles, et puis c'est vrai qu'il y a eu un jour très difficile, où il n'a pas pu, où ça a été une impasse, et où Tonie, qui est très délicate, a compris et a senti, donc voilà, on s'est retrouvés tous les deux, seuls, on a passé une heure ensemble, et puis ce jour là on a arrêté le tournage.

Il y a une chose qui m'a frappé dans le film, vous allez me dire si je me trompe, c'est dans les intentions de Tonie Marshall, est-ce que vous êtes l'actrice du film, ou d'une certaine manière le sujet du film, et l'autre chose qui m'a frappé aussi, c'est peut-être cette idée, au fond, qu'elle a voulu être une sorte de Cassavettes et vous, elle vous aurait mise dans la situation de Gena Rowlands [rires de Catherine Deneuve], c'est-à-dire vous filmer extrêmement près, filmer toutes ces émotions, comme ça, d'une femme admirable, tout le monde le sait, c'est pas de la flagornerie de vous le dire.
Non, c'est pas vraiment… moi je… d'abord c'est pas moi du tout, le personnage. Autant il y a des choses, oui, par exemple dans la scène où je m'engueule avec William Hurt dans le truc, à la fois le découragement et la violence, devant le désespoir de la mauvaise foi des gens quand le tableau qu'elle est venue photographier, c'est pas celui-là, ça je me reconnais dans cette façon d'aborder…

La bonne colère, la saine colère !
Non, mais la colère un peu désespérée, oui, un peu découragée surtout, là je peux m'identifier, c'est vrai. Mais sinon le personnage de Fanette, non c'est pas du tout du tout moi. Fanette, c'est une femme assez solitaire, c'est pas moi, ça.

Mais justement, est-ce qu'il y a cette intention, quand même, qu'elle a pu avoir, comme cinéaste, je ne parle pas de vous, là, mais justement, de prendre une femme de 50 ans, et je ne dis pas de l'épier, mais en tout cas de surveiller ses émotions, parce que c'était ça son projet.
Sûrement, parce que moi je sais que par moments je me sentais asphyxiée, par moments, voyez, parce que je le savais que j'allais être dans toutes les scènes, mais en même temps je le redoutais un peu et je n'imaginais pas que ce serait aussi près, aussi présent, et tout le temps, c'est vrai que des fois ça a été difficile mais il n'y a rien du personnage de Gena Rowlands que j'adore, d'ailleurs, parce que j'adore les films de Cassavettes, parce que c'est toujours beaucoup plus douloureux dans les films de Cassavettes ; là il y a quand même une certaine fantaisie, une légèreté dans le film de Tonie. Elle regarde au plus près parce qu'elle veut être vraiment au plus près des palpitations, des détails, des choses qu'on peut même trouver incongrues, de rester si longtemps sur une femme en train de regarder une ombre qui pourrait être un homme à travers une fenêtre, mais… ça c'est le point de vue de Tonie Marshall.

Est-ce qu'il y a, alors là je vais pousser encore plus loin, est-ce qu'il y a l'idée d'une certaine métaphore de cette femme, Fanette, autour de l'art, parce qu'on sait qu'au fond il est quand même question d'un peintre, François Arnal, qui fait partie de sa famille, elle-même appartient à la famille de Micheline Presle, donc c'est quand même une famille d'artistes, et vous pourriez être la métaphore de la fragilité de ce qu'est l'art en général.
Oui, ben d'accord, moi je vais prendre ça, je suis d'accord. Allez, j'accepte !

Voilà : vendu !

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Pour notre plus grand plaisir Catherine Deneuve est avec nous pour "Au plus près du paradis" de Tonie Marshall qui sort mercredi : Bruno, question !
Ma question, justement, ça revient au personnage de Fanette, parce que vous disiez tout à l'heure qu'il n'était pas trop proche de vous, quand vous l'avez découvert dans le scénario…

Mais je pouvais tout à fait la comprendre : je veux dire, je comprenais qu'elle m'ait imaginée dans ce personnage.

Et c'est ça ma question, c'est que j'ai lu une phrase de Truffaut sur vous qui disait "Catherine Deneuve est une actrice unique parce qu'elle a une double personnalité qui est projetée sur l'écran, une vie apparente et une vie secrète", et ça résume tout à fait Fanette.
J'espère bien que j'ai une vie secrète, oui !

Même sur l'écran.
Enfin, ce qu'on appelle une vie secrète aujourd'hui, c'est une vie privée, quoi.. oui.

Oui, mais sur l'écran aussi.
Oui, parce que c'est profondément ma nature, je pense.

"Une actrice de rêverie", il disait.
Oui, mais de toute façon je suis assez rêveuse, c'est vrai aussi.

Et ça c'est le point commun avec Fanette.
Avec Fanette, ah oui, tout à fait… oui oui, oui.

On parlait cinéma : 12 films, une douzaine de films, je ne les ai pas tous comptés, en quatre ans.
Ah bon ? Non !

Eh oui, depuis… ou en quatre - six ans, depuis "Pola X".
C'est pas possible, c'est pas possible ! Douze films, c'est pas possible, parce que ça voudrait dire quatre films par an.

En six ans, alors.
Ah, vous voyez, déjà !

Vous avez beaucoup tourné.
Beaucoup tourné… j'ai quand même fait des participations, j'ai quand même tourné dans le film de…

Lars von Trier…
Lars von Trier, c'était quand même plus long, j'ai tourné un mois et demi, mais le film de Raoul Ruiz, j'ai tourné quelques semaines, le film de Régis Wargnier, j'ai tourné aussi quelques semaines, c'est une participation, c'est vrai que ce n'est pas pareil, à ce moment là, oui, je dois peut-être arriver à trois, mais sinon je tourne un film et demi par an, pas plus.

Comment vous choisissez ? J'ai envie de dire… je me disais, au moins 70 films, et avec les plus grands, tout le monde le sait, quand on voit les noms de Polanski, d'Aldrich, c'est vraiment une page d'histoire du cinéma, comment aujourd'hui vous choisissez les scénarios qui vous arrivent ?
Pareil. Pareil, sauf que c'est un petit peu plus difficile, parce que je ne suis plus l'actrice que j'étais il y a vingt ans, je suis quelqu'un d'autre, donc c'est plus difficile de trouver des rôles vraiment intéressants, mais c'est toujours une question, soit de rencontre personnelle avec un cinéaste, soit la lecture du scénario, c'est toujours… en principe, c'est le metteur en scène, oui, que je choisis.

Il y a William Hurt qui dit, en parlant de vous, ça m'a frappé : "elle a une inlassable curiosité".
Oui, c'est vrai, j'espère bien, d'ailleurs, que le jour où je n'aurai plus de curiosité ou de désir, je pense que, oui, je ne ferai plus de cinéma.

Il y a une scène assez crue que je trouve magnifique dans le film, c'est un moment où ils sont en train de photographier un tableau - c'est-à-dire vous, vous partez aux Etats-Unis pour ça - et je disais tout à l'heure, pendant la publicité, qu'il vous met un peu la main au collet, pour employer l'expression à la Hitchcock, mais c'est très fort, enfin, très, très érotique et très…
Oui, parce que son geste est violent, c'est-à-dire qu'il vient me rejoindre dans ce bar, je suis assise sur un tabouret de bar, et on voit qu'il me met la main… qu'il soulève ma jupe et qu'il passe sa main, vraiment, entre mes cuisses ; c'est pas qu'il m'effleure le genou, on sent vraiment. Or, on ne le voit pas, on le sent simplement à son mouvement très violent, et après, c'est vrai qu'elle l'a filmé très bien, c'est-à-dire qu'elle l'a filmé sur les visages, et que c'est très bref, c'est très intense, et c'est très…c'est assez… oui, c'est assez troublant, moi j'ai trouvé cette scène très bien, je la trouvais de toute façon bien écrite, et elle l'a très bien filmée, je trouve.

On est dans une situation où on voit les plus grandes actrices françaises, vous, Adjani, Binoche, dans des histoires d'amour à deux, alors que déboulent en ce moment - tout à l'heure on en parlait dans le journal people - Harry Potter, James Bond, enfin on a l'impression quand même que, à la fois on défend quelque chose qu'on aime beaucoup, très profondément, et en même temps qu'on a un mal fou à résister contre cette déferlante. Est-ce que vous vivez ça comme ça, ou pas du tout ?
Le problème, je vais vous dire, si on a un film qui sort en même temps, c'est vrai qu'on doit le vivre comme un combat. Or en même temps, je trouve que c'est tout à fait normal que puissent cohabiter dans le spectacle Harry Potter, James Bond, "Dragon rouge" si on veut même, avec des films comme le film de Danièle Thompson ou le film de Claude Berri que je trouve formidable, "Une femme de ménage", mais le problème, c'est toujours de savoir… parce que comme les carrières des films maintenant sont très courtes, si vous avez malheureusement… si vous sortez en face d'un film comme ça et que vous êtes dévasté par la campagne de presse la semaine d'avant et que vous n'avez pas la place de vous insérer, parce que moi je crois qu'il y a toujours un public pour un film, le problème c'est qu'il n'y a plus le temps matériel aujourd'hui de laisser un film s'installer et que le public voie ce film, parce que je ne vois pas pourquoi… moi par exemple je sais que j'aurai envie de voir le James Bond, mais j'ai envie de voir aussi le film… j'aurais envie si j'étais simplement spectatrice de voir le film de Tonie Marshall, le problème c'est qu'il faudra un petit peu plus de temps pour un film comme celui de Tonie pour s'installer, or le problème il est vraiment là, parce que sinon je pense qu'il y a la place, quand même, pour beaucoup de cinémas, pour beaucoup de cohabitation.

On espère qu'on va donner envie, évidemment, aux gens d'aller voir "Au plus près du paradis", de Tonie Marshall, qui est donc l'auteur de "Vénus Beauté". Moi il y a une chose, une autre question que j'avais envie de vous poser : il y a beaucoup de grands metteurs en scène dans l'histoire du cinéma qui ont fait des films, sublimes, sur le malheur que le cinéma a fait aux acteurs et aux actrices, "Les désaxés"…
"Les désaxés", qui est un chef-d'œuvre…

"Eve" de Mankiewicz, avec Bette Davis, qui est extraordinaire…
Oui mais enfin, c'est assez, c'est assez glorieux, quand même, dans "Eve", attention…

Oui, mais j'ai pas dit que ce n'était pas glorieux…
Non mais dans "Les désaxés", c'est plus dur, mais c'est vrai, oui oui…

Il y a "Sunset boulevard", il y a "Le mépris" de Godard, l'histoire du cinéaste, il y a "Vie privée" de Louis Malle, moi j'aimerais savoir ce que le cinéma vous a fait en bien et en mal, finalement.
En mal, franchement j'aurais du mal à dire. Vous savez, moi j'ai commencé tellement jeune à faire des films, que je me suis… j'ai grandi, je veux dire, avec les films, donc c'est mon éducation, donc si ça m'a fait du mal, j'ai grandi avec, donc disons que c'est comme si j'avais une scoliose que je n'aurais jamais sentie parce que, voilà, on s'est faits ensemble, donc moi je n'ai pas ressenti, si vous voulez, dans la mesure où je n'ai pas eu encore de période vraiment difficile comme on peut avoir à un certain moment, c'est-à-dire ce qu'on appelle un grand trou noir ; souvent après les actrices peuvent revenir dans un autre… dans un autre genre de rôles, moi je n'ai pas eu ça encore, donc je ne suis pas encore, vraiment… je n'ai pas été frappée par… Et en bien… moi ça m'a tout…

En bien, tout !
En bien, beaucoup de choses. Oui, franchement, pour moi ça a été vraiment, plutôt, je dirais… je suis vraiment très reconnaissante au cinéma, que j'aime beaucoup, de m'avoir tant aimée, franchement, oui, oh oui.

Mais est-ce que justement les épreuves d'un métier qui est extrêmement difficile vous ont aidée pour le rôle de Fanette, parce qu'il y a des moments où en fait tout se joue sur un regard, sur un tremblement, un énervement, la claque, la réaction que vous avez, tout ça c'est inmaîtrisable, je veux dire, ça…
C'est inmaîtrisable, mais quand on est habituée à être filmée et que l'on pense que la caméra, que la personne qui vous filme, vous aime… enfin, moi je sais que je suis beaucoup plus disposée à laisser tout filmer, donc la proximité, sur la durée, sur le fait que peut-être c'était pas prévu, je ne suis pas du tout… je ne suis pas du tout dans la maîtrise quand je tourne.

Plus aujourd'hui qu'au début ?
Oh oui, je pense. Mais c'est normal parce qu'au début, quand on ne sait pas, je veux dire, c'est une forme de timidité et d'appréhension qui fait que souvent, on se paralyse, comme on peut voir des gens très drôles, charmants et très chaleureux qui d'un seul coup sont paralysés par le trac, deviennent froids, et timides, et impossible de leur sortir un mot. Ca c'est normal que quand on est jeune, on a plus d'appréhension, on est paralysé.

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Il y a une chose, aussi, qui m'a beaucoup plu dans ce film - on va le rappeler, donc on est avec Bruno Cras et Catherine Deneuve, "Au plus près du paradis", Tonie Marshall - c'est la fin, c'est-à-dire la scène dans le restaurant, où tout d'un coup ils reprennent tous ensemble ce vieux tube de Stephen Stills ou de Crosby, Still, Nash and Young, à un moment où elle est dans la nostalgie, peut-être, de ses amours passées, et lui, en bon américain, il lui dit "Love the one you're with".
Oui oui. Absolument, oui, c'est un très joli moment, et ça c'est très bien parce qu'elle l'a fait jouer par des gens qui sont des gens du théâtre, enfin, de la musique, pour avoir, ne pas avoir simplement, vous voyez, une présence de gens à qui on va demander de fredonner un truc, c'était vraiment des gens qui avaient tout à fait l'aisance pour le faire, et que ça ait l'air d'être presque comme un début de comédie musicale, d'un seul coup…

Ah mais ça ressemble à ça, ils se mettent à tous chanter dans le restaurant…
Oui, ils se mettent tous à chanter, en plus c'est vrai que c'est une très jolie phrase "si tu ne peux pas avoir celui que tu aimes, aime celui que tu as", je veux dire, c'était vraiment… oui, c'est un très joli moment, oui.

Que je ne chanterai pas parce que je chante absolument faux et que c'est un tube formidable des années 70… Est-ce que c'est facile, Catherine, de venir comme ça défendre - on est ravis d'être avec vous - pour terminer - ces films divers, variés, parce que c'est vrai que…
Non, je ne viens pas défendre…

"Belle-maman", c'est tout à fait différent, "Huit femmes" c'est différent…
Oui mais ça c'est la vie des acteurs, ça !

Oui mais tant mieux, mais…
Non mais moi je n'ai jamais l'impression de venir défendre, dans la mesure où, franchement, c'est même difficile, j'imagine, pour les attachés de presse, parce que je ne fais que ce que…

Il est là, Segall, derrière, assis sur son fauteuil, il se ronge les ongles…
Non, mais je veux dire, je ne fais que les choses que j'ai envie de faire par rapport à ce que je sens, si vous voulez, je me laisse parfois influencer quand on me dit que c'est important, mais en général j'essaie vraiment de ne faire que les choses que j'ai envie de faire par rapport au film dont je viens parler, c'est-à-dire qu'il y a des choses que je ne ferai pas, je sais bien que cela va, que cela peut contrarier, on peut trouver que ce n'est pas juste, mais par rapport à moi, c'est vrai qu'il y a des choses que je ne veux pas faire, que je ne fais pas, donc je le fais selon ce que je ressens, si vous voulez, donc je n'ai pas l'impression de venir défendre, j'ai l'impression de venir pouvoir m'exprimer, dire à des gens à qui j'ai envie de parler des choses que je pense du film, et pas forcément partout, quoi, c'est vrai que c'est … je choisis, oui oui, c'est un peu… donc je ne dis pas que j'ai raison, mais enfin je fonctionne d'une manière très intuitive.

Ca s'appelle la liberté. Merci, Catherine.
Ah ça c'est vrai, oui !

Europe 1

18 novembre 2002


Par : Guillaume Durand et Bruno Cras


Film associé : Au plus près du paradis



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