|
||||||||||||||||||||||||||||||||
Ses interviews / Radio et télévision / Europe 1 2002 |
Repères
|
|||||||||||||||||||||||||||||||
|
Catherine Deneuve, bonsoir.
On est ravis de vous accueillir avec Bruno Cras, qui est tout timide à
l'idée de vous recevoir dans ce studio
pour "Au plus près
du paradis", donc, dernier film de Tonie Marshall. Bruno, vous allez
avoir le lourd privilège de nous expliquer de quoi il retourne. C'est une femme, on ne sait pas d'ailleurs si elle est malheureuse ou heureuse, mais ce qu'on voit tout de suite, c'est que c'est une femme de tête parce qu'elle croise un homme qui a été dans sa vie, eh, bon, qui se pend à ses basques, qui est un petit peu pot de colle, qui est joué par Bernard Lecoq, qu'elle remet à sa place. Elle, elle écrit sur l'art, on va le découvrir au fil du film, mais cet homme lui lance un peu comme par défi le prénom d'un homme qu'elle a connu, une vingtaine d'années, une trentaine d'années auparavant, et on sent, si vous voulez, que cette femme n'a jamais fait son deuil de la rencontre avec cet homme. On sent qu'elle l'a dans la tête et d'ailleurs on va la voir au cinéma voir le fameux film de McCarey "Elle et lui" où un homme et une femme se rencontrent en haut de l'Empire State Building, et on sent que cette femme et quand je dis qu'elle a les pieds sur terre, c'est parce qu'elle a sa vie, elle est critique d'art, on la voit dans ses relations pas forcément faciles avec sa fille, on la voit dans ses relations avec un autre de ses ex, on sent que ça a été une femme courtisée, mais elle, pendant toute cette partie, cette première partie du film, elle sent des traces, une présence, le fantôme de ce Philippe qui est là, qui a l'air de rôder autour d'elle, et elle y croit. Elle a envie de croire à quelque chose qui aurait dû être, qui n'a pas été, mais qui pourrait être encore. Voilà comment je résumerais la chose. Et elle va partir aux Etats-Unis parce qu'elle est critique d'art et qu'elle doit récupérer deux photos de toiles d'un peintre dont elle s'occupe, et là elle va rencontrer un homme qui n'est pas le fameux Philippe, mais un homme, et je m'arrête là. Voilà. Un homme qui s'appelle Matt, qui est photographe,
Catherine, et qui est joué par William Hurt. Il y a deux parties dans le film : il y a cette partie
française
où on la voit assez triste, assez
bouleversée, assez fragile
Moi je ne trouve pas qu'elle est triste, non. Je ne trouve pas qu'elle soit triste. Je trouve que c'est une femme un peu mélancolique, mais je ne pense pas que ce soit une femme triste, je pense que c'est une femme très qui a un univers très particulier, qui doit vivre seule depuis longtemps, qui fait des choses qui l'intéressent mais tout ça dans une certaine solitude, et je crois que la rencontre un peu violente avec Lecoq dont vous parliez tout à l'heure c'est pas qu'elle l'a dans la tête, cet homme, mais je crois qu'il lui ramène comme ça brutalement, à travers la gifle incroyable qu'il lui donne, il lui ramène l'idée, le souvenir de cet homme, et ce souvenir repart dans sa vie comme "puisque ça a été, ça pourrait être", mais c'est pas je crois qu'elle ne vivait pas avec cet homme là, je crois seulement qu'il l'a réveillée d'un seul coup, en lui rappelant ça et en disant qu'il est peut-être à Paris, et d'un seul coup, ça ranime, disons, une histoire ancienne, elle se réveille de cette histoire et a envie de retrouver, oui, cet homme, et puis il y a des indices, on ne sait jamais si ce sont des indices vrais, des choses qu'elle voit ou qu'elle imagine, ou il y a quand même des indices où on a l'impression, quand même, de la présence de cet homme derrière elle, on est toujours dans le on ne sait jamais si c'est vraiment sa réalité à elle ou si c'est la vérité. C'est le charme du film, c'est
qu'on peut y voir, d'ailleurs, de mon point de vue, plusieurs histoires,
mais je voudrais raconter quelques éléments du tournage
qui ne sont pas du tout innocents parce qu'il s'est tourné, quand
même, pour la partie américaine, à une période
qui effectivement a compliqué les choses, c'est le 11 septembre
de l'année précédente. Mais donc, ça a peut-être
enfin, avec l'idée, quand même, que ça pouvait, la
deuxième partie, être une sorte de comédie romantique
entre elle et lui
ça a un peu durci
le propos, ou en tout cas rendu
Alors, Bruno, et après, j'aurai un flot de
questions. Il y a une chose qui m'a frappé
dans le film, vous allez me dire si je me trompe, c'est dans les intentions
de Tonie Marshall, est-ce que vous êtes l'actrice du film, ou d'une
certaine manière le sujet du film, et l'autre chose qui m'a frappé
aussi, c'est peut-être cette idée, au fond, qu'elle a voulu
être une sorte de Cassavettes et vous, elle vous aurait mise dans
la situation de Gena Rowlands [rires de Catherine Deneuve], c'est-à-dire
vous filmer extrêmement près, filmer toutes ces émotions,
comme ça, d'une femme admirable, tout le monde le sait, c'est pas
de la flagornerie de vous le dire. La bonne colère, la saine
colère ! Mais justement, est-ce qu'il
y a cette intention, quand même, qu'elle a pu avoir, comme cinéaste,
je ne parle pas de vous, là, mais justement, de prendre une femme
de 50 ans, et je ne dis pas de l'épier, mais en tout cas de surveiller
ses émotions, parce que c'était ça son projet. Est-ce qu'il y a, alors là
je vais pousser encore plus loin, est-ce qu'il y a l'idée d'une
certaine métaphore de cette femme, Fanette, autour de l'art, parce
qu'on sait qu'au fond il est quand même question d'un peintre, François
Arnal, qui fait partie de sa famille, elle-même appartient à
la famille de Micheline Presle, donc c'est quand même une famille
d'artistes, et vous pourriez être la métaphore de la fragilité
de ce qu'est l'art en général. Voilà : vendu ! [Pause publicitaire] Pour notre plus grand plaisir
Catherine Deneuve est avec nous pour "Au plus près du paradis"
de Tonie Marshall qui sort mercredi : Bruno, question ! Et c'est ça ma question,
c'est que j'ai lu une phrase de Truffaut sur vous qui disait "Catherine
Deneuve est une actrice unique parce qu'elle a une double personnalité
qui est projetée sur l'écran, une vie apparente et une vie
secrète", et ça résume tout à fait Fanette. Même sur l'écran. Oui, mais sur l'écran
aussi. "Une actrice de rêverie",
il disait. Et ça c'est le point
commun avec Fanette. On parlait cinéma : 12
films, une douzaine de films, je ne les ai pas tous comptés, en
quatre ans. Eh oui, depuis
ou en quatre
- six ans, depuis "Pola X". En six ans, alors. Vous avez beaucoup tourné. Lars von Trier
Comment vous choisissez ? J'ai
envie de dire
je me disais, au moins 70 films, et avec les plus
grands, tout le monde le sait, quand on voit les noms de Polanski, d'Aldrich,
c'est vraiment une page d'histoire du cinéma, comment aujourd'hui
vous choisissez les scénarios qui vous arrivent ? Il y a William Hurt qui dit,
en parlant de vous, ça m'a frappé : "elle a une inlassable
curiosité". Il y a une scène assez
crue que je trouve magnifique dans le film, c'est un moment où
ils sont en train de photographier un tableau - c'est-à-dire vous,
vous partez aux Etats-Unis pour ça - et je disais tout à
l'heure, pendant la publicité, qu'il vous met un peu la main au
collet, pour employer l'expression à la Hitchcock, mais c'est très
fort, enfin, très, très érotique et très
On est dans une situation où
on voit les plus grandes actrices françaises, vous, Adjani, Binoche,
dans des histoires d'amour à deux, alors que déboulent en
ce moment - tout à l'heure on en parlait dans le journal people
- Harry Potter, James Bond, enfin on a l'impression quand même que,
à la fois on défend quelque chose qu'on aime beaucoup, très
profondément, et en même temps qu'on a un mal fou à
résister contre cette déferlante. Est-ce que vous vivez
ça comme ça, ou pas du tout ? On espère qu'on va donner
envie, évidemment, aux gens d'aller voir "Au plus près
du paradis", de Tonie Marshall, qui est donc l'auteur de "Vénus
Beauté". Moi il y a une chose, une autre question que j'avais
envie de vous poser : il y a beaucoup de grands metteurs en scène
dans l'histoire du cinéma qui ont fait des films, sublimes, sur
le malheur que le cinéma a fait aux acteurs et aux actrices, "Les
désaxés"
"Eve" de Mankiewicz,
avec Bette Davis, qui est extraordinaire
Oui, mais j'ai pas dit que ce
n'était pas glorieux
Il y a "Sunset boulevard",
il y a "Le mépris" de Godard, l'histoire du cinéaste,
il y a "Vie privée" de Louis Malle, moi j'aimerais savoir
ce que le cinéma vous a fait en bien et en mal, finalement. En bien, tout ! Mais est-ce que justement les
épreuves d'un métier qui est extrêmement difficile
vous ont aidée pour le rôle de Fanette, parce qu'il y a des
moments où en fait tout se joue sur un regard, sur un tremblement,
un énervement, la claque, la réaction que vous avez, tout
ça c'est inmaîtrisable, je veux dire, ça
Plus aujourd'hui qu'au début
? [Pause publicitaire] Il y a une chose, aussi, qui
m'a beaucoup plu dans ce film - on va le rappeler, donc on est avec Bruno
Cras et Catherine Deneuve, "Au plus près du paradis",
Tonie Marshall - c'est la fin, c'est-à-dire la scène dans
le restaurant, où tout d'un coup ils reprennent tous ensemble ce
vieux tube de Stephen Stills ou de Crosby, Still, Nash and Young, à
un moment où elle est dans la nostalgie, peut-être, de ses
amours passées, et lui, en bon américain, il lui dit "Love
the one you're with". Ah mais ça ressemble
à ça, ils se mettent à tous chanter dans le restaurant
Que je ne chanterai pas parce
que je chante absolument faux et que c'est un tube formidable des années
70
Est-ce que c'est facile, Catherine, de venir comme ça
défendre - on est ravis d'être avec vous - pour terminer
- ces films divers, variés, parce que c'est vrai que
"Belle-maman", c'est
tout à fait différent, "Huit femmes" c'est différent
Oui mais tant mieux, mais
Il est là, Segall, derrière,
assis sur son fauteuil, il se ronge les ongles
Ca s'appelle la liberté.
Merci, Catherine. |
|
||||||||||||||||||||||||||||||
![]() |
|
|